En Europe, "plus de pression sur les droits des prisonniers"

Leandro Mancano. L’idée derrière ce livre est née de différentes choses. J’ai commencé à m’intéresser à la problématique de la privation de liberté lorsque j’étais étudiant en licence de droit. Ensuite, j’ai décidé de faire ma thèse sur ce sujet quand je me suis rendu compte qu’il n’existait aucune analyse holistique de l’approche européenne de la détention. En parallèle, je me suis impliqué dans une ONG qui proposait de l’aide juridique aux personnes détenues (l’Altrodiritto, essentiellement active en Toscane). Entrer en prison, c’est entrer dans un univers parallèle, avec un sentiment d’aliénation très fort. Cette expérience n’a fait que renforcer ma résolution d’enquêter sur la problématique des droits des personnes détenues, et d’apporter ma contribution à un sujet, d’une certaine manière, sous-exploité.

J’essaie, dans mon livre, de proposer un cadre d’analyse permettant d’aborder la détention au sein de l’Union européenne à travers une grande variété de domaines : droit pénal substantiel et procédural, droit de l’asile et de l’immigration, citoyenneté et liberté de mouvement. D’un côté, l’objectif principal de cet ouvrage est de faire ressortir les points communs et les schémas émergeant de façon transversale.

Il en ressort que l’objectif final de tout ce corpus législatif et jurisprudentiel est la préservation de l’Union en tant qu’espace sans frontières internes.

De l’autre, j’essaie de montrer la façon dont les bastions traditionnels de la liberté personnelle – comme le droit à la liberté – doivent être repensés et adaptés aux défis des nouveaux outils de coopération, comme le MAE. Les nouveaux outils de coopération au sein de l’UE se fondent sur la présomption que les États membres respectent les droits fondamentaux, et introduisent une forte automatisation des extraditions entre États ; le droit européen actuel a donc besoin de solutions nouvelles, sur mesure.

LM. L’exemple le plus connu, c’est le MAE, mais l’ensemble du système de coopération judiciaire en matière pénale au sein de l’UE a amené des changements significatifs. Ce “nouvel” outil a déjà 20 ans, et il se fonde sur le principe de reconnaissance réciproque : en clair, le principe selon lequel une décision judiciaire rendue par l’État A et adressée à l’État B doit être reconnue et appliquée automatiquement, sans plus de formalités, par ce dernier. Cette méthode a uniformisé le système d’extraditions qui existait jusqu’alors et représente, par conséquent, un nouveau défi en termes de libertés individuelles.

Au fil des années, différents points de controverse sont apparus, notamment : l’exécution de mandats d’arrêt pour des condamnations par contumace ; détention prolongée d’une personne, en l’attente de l’exécution du mandat, au-delà des limites légales ; et, surtout, le problème des conditions de détention inhumaines dans l’État vers lequel la personne doit être transférée.

L’arrêt Aranyosi et Căldăraru, l’un des plus importants de l’histoire récente de la Cour de justice de l’union européenne (CJUE), estime, pour la première fois, qu’un MAE ne peut être exécuté s’il existe un risque que la personne concernée soit soumise, dans le pays vers lequel est doit être transférée, à des traitements inhumains ou dégradants. De nombreuses questions restent sans réponses et l’interprétation du droit n’est pas toujours cohérente, mais on note une prise de conscience croissante quant aux conditions de détention indécentes, notamment quand la CJUE – et certains tribunaux nationaux – s’opposent à l’exécution de MAE en cas de risques de traitements inhumains ou dégradants.

LM. La mise en place et le développement d’un système de coopération judiciaire plus souple en matière de droit pénal sont perceptibles dans certains outils européens, qui se reposent sur ou impliquent la privation de liberté. Inévitablement, cela a posé des problèmes et ajouté toujours plus de pression sur les droits des prisonniers. Cela dit, c’est aussi synonyme de nouvelles occasions de défendre ces droits.

Les décisions-cadre 2008/909/JAI et 2008/847/JAI mettent en place un mécanisme permettant aux personnes condamnées à des peines privatives de liberté (et, dans certains cas, les y contraignant) d’être transférées vers l’État dans lequel leurs chances de réinsertion seront les plus élevées et où elles peuvent bénéficier de mesures non-privatives de liberté - s’il s’agit de leur État d’origine. De la même manière, la décision européenne de contrôle judiciaire (décision-cadre 2009/829/JAI) réglemente le transfert des personnes en détention provisoire vers leur État européen de résidence ou de nationalité, où elles seront mieux surveillées et soumises à des mesures moins restrictives.

Des études, empiriques ou non, sur la mise en œuvre effective de ces outils ont vu le jour ces dernières années. Elles mettent en évidence des défauts et des lacunes pratiques (par exemple, des transferts effectués sans le consentement de prisonniers, ou avec un consentement assez peu éclairé). Ces outils sont un point de départ pour l’amélioration des droits des personnes détenues, même s’il reste beaucoup à faire en ce domaine, comme dans les autres domaines dont j’ai déjà parlé. Enfin, il ne faut pas oublier le travail de longue haleine, essentiel, du Conseil de l’Europe, des Règles pénitentiaires européennes et du Comité européen pour la prévention de la torture, ainsi que de la Cour européenne des droits de l’homme.