En Irak, des "parodies de justice"

Agnès Callamard. En premier lieu, le cadre juridique des procès intentés aux membres présumés de l’État islamique (EI) est problématique. Tous ces individus sont accusés sur la base de la loi antiterroriste irakienne adoptée en 2006. Il s’agit d’une loi équivoque car elle n’établit pas de distinction entre les différents types de crimes ou de méfaits commis. La participation à un groupe terroriste est punie de la même façon qu’un meurtre commis au nom d’une idéologie terroriste. Par ailleurs, les détenus sont presque systématiquement victimes d’actes de torture ou de mauvais traitements de la part des autorités. Ces violences sont commises durant leur détention dans le but d’extraire des confessions.
Ces aveux obtenus sous torture sont dénoncés par les détenus eux-mêmes lors de leur procès. Sur la base de la loi irakienne, les juges sont tenus, en cas d’allégation de torture, de requérir une enquête indépendante relative à ces allégations. Or, c’est très rarement le cas. Enfin, le déroulement des procès est également problématique.

La justice est souvent rendue de manière collective et expéditive. Certains procès ne durent que quelques minutes. En ce qui concerne leur droit d’être défendu, les personnes accusées rencontrent leur avocat quelques minutes avant le début du procès et celui-ci n’a aucune connaissance de leur dossier.

Il s’agit d’une violation manifeste des normes internationales relatives au déroulement d’un procès équitable. En outre, ceux qui ne comprennent pas l’arabe ont rarement accès à un interprète et n’ont donc pas connaissance des faits qui leurs sont reprochés. Les sanctions sont très lourdes puisque dans de nombreux cas, ces procès se soldent par une condamnation à mort. Les recours en appel sont possibles - et en général les procédures sont suivies- ; cependant, sauf dans un nombre infime de cas, ils n’aboutissent pas à une révision de la décision initiale. Si la peine de mort est mise en œuvre pour ces personnes, dans la mesure où les conditions du procès ne sont pas équitables, il s’agit alors d’une exécution arbitraire.

AC. Il faut tout d’abord envisager un changement en profondeur du système et des pratiques judiciaires, en révisant les lois qui régissent ces procès. En théorie, les accusés pourraient être jugés sur la base du droit pénal pour des accusations de meurtre. Les poursuites engagées à leur encontre font uniquement référence à la loi antiterroriste, qui ne comprend aucun crime de droit commun. En outre, le plus souvent, l’unique chef d’accusation retenu est celui de “participation à un groupe terroriste”. Les membres présumés de l’EI qui se sont rendus coupables de crimes ne sont donc pas appelés à répondre de ces actes. De plus, les accusations de terrorisme ne prennent aucunement en compte les violences faites à l’égard des victimes : celles-ci n’assistent d’ailleurs jamais aux procès.

Le droit pénal irakien doit également être modifié afin que les juges et les cours irakiennes puissent avoir juridiction sur les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et le génocide. À l’heure actuelle, ces trois crimes ne sont pas inclus dans le droit irakien.

Cela fait plus de trois ans que des agences des Nations unies et d’autres acteurs demandent une révision du droit pénal irakien ; des propositions de texte ont vu le jour, mais jusqu’à présent aucun n’a abouti.

Cela étant, les procureurs pourraient ajouter, d’eux-mêmes, un chef d’accusation de droit commun à celui de participation à un groupe terroriste. Ils ne le font jamais car les preuves à rassembler pour démontrer un meurtre ou un viol sont particulièrement nombreuses. Or, l’accusation de participation à un groupe terroriste ne nécessite pas de preuves particulières : le système irakien se base sur les aveux de la personne incriminée. Les procureurs choisissent donc d’emprunter la voie la plus facile et ce, d’autant plus que la peine est plus lourde en cas d’accusation de terrorisme.

Enfin, le déroulement des procès eux-mêmes doit être revu et transformé en profondeur. Il est inacceptable que les personnes accusées aient accès à un avocat deux minutes avant leur procès et que ce dernier n’ait pas connaissance de leur dossier. Il s’agit de revoir tous ces éléments pour que les conditions d’un procès équitable soient rendues possibles.

AC. Il est très clair que les autorités européennes savent que les conditions de procès et de détention en Irak constituent des violations internationales. Une seule solution s’impose en ce qui concerne les membres présumés de l’EI de nationalité étrangère, qui ne sont ni Irakiens, ni Syriens : pour les États d’origine, au vu des limitations et violations du droit international que subissent leurs ressortissants, c’est le rapatriement. En Irak, la torture est presque systématique. Les procès ne sont qu’une parodie de justice et les personnes accusées risquent une condamnation à mort : tout ceci constitue une violation des obligations internationales des États. Leur obligation de diligence est impliquée, ainsi que leur obligation de respect du droit à la vie. C’est une kyrielle de violations qui découlent du refus de rapatriement. Malheureusement, il n’y a pas de levier d’action pour obliger les États à remplir leurs obligations.

De plus, les États européens ne remplissent pas toujours leurs obligations consulaires. En théorie, ils devraient s’assurer du respect des droits fondamentaux de leurs ressortissants, comme le déroulement équitable de leur procès et le respect des normes de conditions de détention. Je n’ai pas directement enquêté sur ces dernières, mais les informations que l’on m’a communiquées montrent qu’elles sont dégradantes, voire inhumaines.

Les prisons sont surpeuplées, l’alimentation est très limitée et les détenus n’ont pas accès à des soins médicaux. Ils sont privés de lumière et ne peuvent sortir à l’air libre. Certains sont morts en détention.

En dépit du discours des États, l’accès à l’assistance consulaire est une obligation faite aux États d’origine qui ne peut pas être mise en œuvre de manière discriminatoire : il n’est pas possible d’accorder une assistance à certaines personnes et pas à d’autres.