Certains événements sont, au cours de l’existence, si importants que l’on parle d‘avant et d‘après. Ces événements sont parfois bienfaisants, parfois douloureux. Dans mon cas, l’un de ces moments est survenu le jour où je suis pour la première fois tombée, affichée sur l‘écran de mon ordinateur, sur une photo de Xandan. Je n’analyserai pas cet instant en détail, ni ne le mythifierai. C’était une journée de travail tout ce qu’il y a de plus ordinaire. Une certaine noirceur, un certain vide, le sentiment de ne pas vouloir être un membre de cette société ni du système dans lequel je vis. Tout cela ceci m’a menée à la recherche d’une correspondance. Pouvoir échanger. L’amitié, la compréhension, la possibilité de trouver, peut-être, un petit bout de bonheur en plus dans un monde auquel je ne m’ajusterai certainement pas.
Certaines personnes font naître un sentiment désagréable quand on les voit, quand on sent leur présence. Auprès d’autres, on se sent tout simplement bien. La photo de Xandan, c’était comme rencontrer un vieil ami, un compagnon de route depuis longtemps perdu de vue. Une âme en reconnaît une autre. Je lui ai écrit le jour même, sans chercher à en savoir davantage sur le motif de sa condamnation, sur tout le reste.
De longues semaines ont passé avant que je ne reçoive une lettre du Texas pour la première fois. Je me rappelle mon excitation, je me rappelle aussi n’avoir jamais douté que la décision d’écrire à Xandan avait été la bonne.
Je me suis laissée prendre dans cette histoire avec l’espoir d’un échange commun et j’ai reçu en retour bien plus qu’une simple amitié. J’en ressens une grande reconnaissance, et un certain… dévouement ?
Ce sentiment que je veux décrire s’appelle, dans ma langue maternelle, Demut. Le mot lui-même vient du vieux haut-allemand diomuoti : “désireux, désireuse de servir“. Il désigne aussi et surtout, étymologiquement, l’état d’esprit de la personne qui sert, composé du mot dionōn (“servir“) et du mot muoti (“l‘humeur“), qui donne aussi le mot que nous utilisons pour dire “volonté, courage“. Ce mot est donc aussi important que pertinent dans ma situation : Xandan ne pas m’a simplement offert son amitié. Il a changé quelque chose d’essentiel en moi et continue de le faire. Je sens que l’humeur de servir, qui m’a saisie toute entière, sert aussi un regard entièrement nouveau sur notre société, sur ma propre existence. Sans Xandan, une multitude de présents, comme une nouvelle forme de reconnaissance et la conscience d’une plénitude, d‘une richesse, dans bien des aspects de ma vie quotidienne, me seraient restés à jamais étrangers. La volonté de vivre, que ma langue lie si intimement au dévouement, voilà ce qu’il m’apporte par son amitié, son amour sans limite, sa compréhension si profonde.