FK. Depuis 1994, il n’y a plus de déchéance automatique des droits civiques, par conséquent les personnes conservent leurs droits, sauf s’ils en sont expressément déchus par le Tribunal ou la Cour (terrorisme, fraude aux marchés publics). Ce droit fondamental de l’exercice du vote, garanti par la Constitution, reste totalement occulté en milieu carcéral.
Les démarches administratives sont bien trop complexes pour que les prisonniers entreprennent une procédure. Les seules solutions possibles sont le vote par procuration et les permissions de sortie, qui ne sont quasiment jamais accordées pour ce motif. Pour les quelques-uns qui formulent une demande, les contraintes matérielles d’organisation entraînent des refus.
Le contexte de l’incarcération représente bien un frein à l’exercice du droit de vote de la population carcérale. Comme le rappelle le Conseil constitutionnel dans ses observations de 2017, seules 2 % des personnes détenues ont pu voter lors des dernières élections.
Pourtant, permettre de voter au sein des prisons, c’est introduire davantage de République dans l’univers carcéral et ouvrir la voie à la réinsertion. La Pologne et le Danemark ont su implanter des bureaux de vote dans leurs prisons, sans la moindre difficulté.
Nous sommes donc heureux que l’idée de favoriser le vote des personnes détenues, évoquée par Monsieur Macron, ait progressée. Sur le contenu, maintenant : un projet gouvernemental a été présenté sous forme d’un amendement déposé au Sénat la veille de l’ouverture des débats sur la loi Justice, fin 2018, sans aucune concertation. Il s’agit de favoriser le vote des personnes détenues pour les élections européennes en les faisant voter par correspondance dans un bureau unique, virtuel, qui serait situé à Paris.
Sur le principe, il s’agit d’une avancée intéressante, ça concrétise notre combat depuis des années. Mais au stade actuel, rien n’est prévu concrètement. On ne sait pas la manière dont le vote va se tenir, ni à qui le bulletin est censé être remis… Pour tous les spécialistes de l’univers carcéral, ce projet apparaît technocratique et irréaliste : nous savons tous que les personnes détenues ont le plus souvent un énorme problème avec l’écrit. Par ailleurs, quelle que soit l’intégrité de l’administration pénitentiaire, aucune personne détenue ne peut imaginer confier son vote dans une enveloppe à un fonctionnaire de l’administration pénitentiaire.
Aujourd’hui, nous sommes face à deux projets : celui du gouvernement, non abouti, et notre projet qui est prêt, mûri, et rapidement applicable avec un décret rédigé par Frédéric Thiriez .
Robin des lois et ses partenaires mènent depuis 2013 des campagnes actives pour la mise en place de bureaux de vote dans les prisons. Notre projet est facilement réalisable. À l’inverse, aujourd’hui, le projet gouvernemental est mort-né compte tenu des retards pour le vote de la loi Justice. Cela me paraît impossible. Si le ministre de l’Intérieur, dans huit jours, nous dit “on y va”, nous avons tous les documents prêts, élaborés par un “collectif informel” :
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Sergio Coronado, ancien membre de la Commission des Lois de l’Assemblée Nationale,
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Martine Herzog-Evans, Professeure de Droit pénal à l’Université de Reims, et spécialiste de l’exécution des peines
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Emmanuel Ludot, avocat pénaliste à Reims,
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Jean-Christophe Ménard, avocat spécialisé enDroit électoral, Maître de Conférences à Sciences-Po Paris. C’est un pilier du collectif. Il entame principalement les procédures et défend l’idée qu’il n’est pas nécessaire de changer la loi.
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Éric Péchillon, Professeur de droit public à l’Université de Rennes et spécialiste des questions carcérales
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Frédéric Thiriez, ancien maître des requêtes au Conseil d’État, avocat au Conseil d’État et à la Cour de Cassation. C’est lui qui a écrit le décret.
Il s’agit de mettre en place des bureaux de vote comme il en existe dans n’importe quelle commune et dans de nombreux pays. Il ne faut pas changer la loi, il faut l’appliquer, c’est-à-dire appliquer l’article R40 du Code électoral, qui donne aux préfets le pouvoir, une fois par an, de créer ou de supprimer un bureau avec la liste électorale afférente. C’est tout simple en fait. L’idée géniale de Jean-Christophe Ménard, c’est qu’il faut appliquer le droit : on a fait une procédure qui reconnaît qu’effectivement, l’article R40 peut être appliqué aussi aux prisons.
Qu’est-ce c’est qu’un bureau de vote en prison, ça, je ne l’ai peut-être pas assez expliqué… Concrètement, un bureau de vote, c’est un local, c’est comme une maternelle ou un gymnase. C’est une création juridique du préfet. On décide que le deuxième bureau de Clermont-Ferrand, c’est la maison d’arrêt, le troisième, c’est l’école maternelle Saint-Joseph, c’est aussi simple que ça. C’est une création juridique, avec la liste qui va avec.
Nous proposons d’installer le bureau de vote pendant deux ou trois heures (le temps de faire passer tous les détenus qui souhaitent voter), avec, bien sûr, les assesseurs, les conseillers municipaux de la commune venus tenir le bureau, un isoloir, une urne, une table, et la liste. Tout ça est parfaitement clair, et facilement applicable. La mise en place pratique du bureau dans une prison relève du ministre de la Justice par la voie d’une circulaire adressée au chef d’établissement : “Vous prendrez contact avec le préfet, vous ferez rentrer les urnes, vous délivrerez les permis, vous ferez voter, etc “, il n’y a rien de sorcier.