France : la prison, une entreprise comme une autre  ?

Isabelle Leroux. L’implantation d’une prison de type maison d’arrêt ou centre pénitentiaire est souvent un sujet de conflit avec les futurs riverains, appelé conflit NIMBY qui signifie Not In My Backyard (“pas dans mon arrière-cour“ ou “surtout pas chez moi“). Il s’agit d’un rejet traduisant des peurs liées à l’imaginaire de la prison mais aussi de multiples craintes vécues comme de vraies menaces. Les études montrent que les habitants ont souvent une perception surestimée des risques liés à la proximité d’une prison, par exemple une évasion qui tourne mal, ce qui est rarissime dans la réalité. À ce sentiment d’insécurité s’ajoute la peur d’une perte d’aménités, par exemple que la future prison gâche l’esthétique paysagère, limite l’accès à des lieux de promenade ou dévalorise une zone potentiellement touristique. Des conflits récurrents portent par ailleurs sur la perte de valeur foncière ou immobilière, la prison pouvant occasionner des discontinuités dans une zone de culture ou bien la dévalorisation d’un logement situé à proximité.

L’absence d’anticipation ou de dialogue avec les futurs riverains de la prison tend alors à occasionner un sentiment d’injustice pouvant conduire à des actions de rejet de plus grande ampleur (pétitions, interpellation des pouvoirs publics, associations anti-prison etc.).

Toutefois, le problème NIMBY n’est qu’un aspect des conflits susceptibles de naître autour du projet d’implantation d’un établissement pénitentiaire. Les conflits peuvent être beaucoup plus larges et impacter toute la commune, voire parfois plusieurs communes, notamment lorsqu’ils sont liés au contexte politique local. Le conflit est souvent lié au fait que les élus présentent la prison comme une entreprise qui viendrait s’implanter et créer des activités économiques. Cela revient à souhaiter une prison pour de mauvaises raisons, c’est-à-dire à laisser penser à la population que cette implantation sera génératrice de gains économiques, d’emplois, d’arrivées de nouvelles familles, de nouveaux services, d’achats locaux, de taxes et impôts…Malheureusement, la réalité est toute autre. Le manque d’information, de connaissance sur le fonctionnement et le modèle économique d’un établissement pénitentiaire et le manque d’anticipation sont les principales sources de conflit. Les habitants se trouvent face au fait accompli et les maires doivent faire face à des problèmes d’acceptabilité ex-post. Dans d’autres cas, les conflits éclatent parce que l’État a imposé la prison malgré le refus des élus et des populations. Ceci survient par exemple lorsqu’il y a extrême rareté des terrains éligibles. Les conséquences peuvent s’avérer désastreuses à moyen et long terme, notamment lorsque le dialogue est coupé entre les différentes parties.

IL. Une prison n’est pas génératrice en soi d’impacts économiques et ne peut être assimilée à une entreprise qui viendrait s’installer sur une commune donnée. En effet, la construction de la prison est confiée aux grands constructeurs nationaux ayant remporté l’appel d’offres et non pas aux entreprises de la commune. Les achats de biens alimentaires, petit matériel ou biens d’équipements transitent majoritairement par des centrales d’achat nationales et non pas par les infrastructures commerciales locales.
La seule exception est l’achat de cigarettes qui doit être réalisé au bureau de tabac le plus proche à vol d’oiseau. Dans certaines situations, le bureau de tabac le plus proche est localisé dans la commune voisine, ce qui peut occasionner des conflits. Quant aux surveillants, ils évitent en général de résider dans la commune hôte de l’établissement carcéral. Cela leur permet de marquer une rupture avec un environnement de travail à forte pénibilité. La population locale s’accroît en revanche du nombre de détenus, ce qui contribue certes à une augmentation de la dotation globale de fonctionnement mais dans des proportions très marginales au regard du budget d’une commune, en moyenne de l’ordre de 90 à 100 € par détenu et par an. Loin de la manne annoncée par certains élus locaux.
Pour finir, une prison n’est pas assujettie à des taxes et des impôts comme c’est le cas pour une entreprise. Dans le cas des prisons en partenariat public-privé, seuls les opérateurs privés peuvent être conduits à payer une taxe liée au foncier locatif : la cotisation foncière des entreprises. Cette cotisation est de très faible montant au regard du budget des communes concernées, en moyenne de 7 500 à 8 000 euros par an pour une prison de 400 détenus. Quant au chômage, il ne saurait être réduit par le développement d’emplois de surveillants. En effet, être surveillant pénitentiaire requiert l’obtention d’un concours national.

Faire croire aux populations de la commune d’accueil qu’elles vont bénéficier des gains économiques générés par un établissement pénitentiaire est source de déceptions et de conflits ultérieurs.

En revanche, si elle est anticipée et incluse dans un projet de territoire économique social et culturel, l’arrivée d’une prison peut être un processus gagnant-gagnant à la fois pour le territoire et pour les détenus. Il ne faut pas oublier que la réinsertion passe par l’accès à l’emploi à partir des centres de semi-liberté. Cela suppose un vrai travail de développement local fondé sur des partenariats à une échelle bien plus large que celle de la commune hôte, comme l’échelle de l’agglomération urbaine par exemple. Il est nécessaire que les moyens de mobilité soient développés de manière à ce que la prison soit accessible par les détenus en semi-liberté, les familles, les personnes y travaillant et les avocats.

Plus la prison est isolée moins elle peut assurer son travail de réinsertion et de lutte contre la récidive, donc plus le coût pour la société est élevé.

Parallèlement à cela, il est nécessaire de faire un travail de pédagogie auprès des populations locales pour faire accepter le projet dans ses différentes dimensions, y compris sociale et culturelle.

IL. Une stratégie gagnant-gagnant pour le territoire, pour la prison et plus largement pour la société nécessite du temps et de la coordination à différents niveaux (local, départemental, régional, État). Le plus souvent, aucune discussion sur les modalités d’implantation et de relation au territoire n’est initiée entre les élus, les associations et l’État en amont de la construction. Dans certains cas, les communes sont dans l’incertitude pendant dix ans avant qu’une implantation ne se concrétise et que des travaux commencent. Or, inscrire la prison dans un projet de territoire suppose de travailler très en amont sur un territoire “pertinent“ élargi, principalement intercommunalité et agglomération urbaine, ainsi que sur différents axes :
• le développement économique, les commerces, l’accès aux services
• les aménagements, les aménités
• la mobilité et les facilités d’accès à l’établissement pour tout public
• l’habitat
• le développement social, les liens avec les associations, la société civile
• l’identité territoriale et la qualité de vie
• la communication de projet

L’idéal est de pouvoir développer une zone d’activité économique autour de la prison.

Ceci pour favoriser l’accueil de nouvelles entreprises, l’accès aux services, les commerces, l’emploi des habitants mais aussi celui des détenus en semi-liberté. La zone d’activité peut également être jouxtée de zones d’habitations avec des aménagements et des aménités en phase avec les besoins de tous, comme par exemple des mobilités douces. Différentes configurations sont possibles en fonction de la taille de l’établissement, de la géographie des lieux et du caractère urbain ou péri-urbain de la zone d’implantation. En revanche, implanter une prison en milieu rural loin de tout bassin d’emploi et en l’absence de moyens de mobilité s’est avéré être un échec et une expérience à ne pas renouveler.

Tout l’enjeu est d’impliquer les habitants et le monde associatif en évitant de politiser l’implantation : expliquer le projet de territoire sur le mode gagnant-gagnant, rassurer les habitants et les riverains, leur expliquer en quoi ils vont bénéficier aussi du projet sur des bases réelles, réfléchir collectivement à la question de l’identité territoriale et de la qualité de vie.

Le tout suppose bien sûr une gouvernance adéquate, avec par exemple un comité de développement territorial co-piloté par les élus des différents territoires concernés (commune hôte, intercommunalité, agglomération…), le monde associatif, des aménageurs et en lien avec les services de l’Etat. Plus les compétences sont croisées, plus elles sont génératrices d’innovations institutionnelles et sociales. L’implantation d’un établissement pénitentiaire, si elle est bien menée, peut être une source d’innovation et d’expérimentation socio-économique dans les territoires. Des expérimentations prometteuses sont conduites actuellement en Europe du Nord et en France. Elles ont pour objet l’implantation de structures innovantes de plus petite taille ou bien des structures plus ouvertes qui contribuent à réduire le taux de récidive et par conséquent le coût pour la société.

France¶

Les fermes Emmaüs¶

• Site internet de la ferme de Baudonne (40)
Ferme en agriculture biologique qui accueille des femmes en aménagement de peine ; en leur proposant un travail, un logement et un accompagnement socio-professionnel.

• Site internet de la ferme de Moyembrie (02)
La ferme de Moyembrie accueille des hommes, sous écrou, qui bénéficient d’un aménagement de leur peine en “placement extérieur“, en moyenne pour neuf mois.

• Site internet de la ferme de Lespinassière (11)
La ferme agro-écologique Lespinassière accueille, depuis 2018, des hommes sous écrou en fin de peine.

Les Structures d’accompagnement vers la sortie (SAS)¶

• C’est ce nouveau type d’établissement pénitentiaire qui sera construit d’ici 2022 à Orléans, censé mieux préparer les détenus en fin de peine à leur retour à la vie civile. — Article de France Bleu, 15 juin 2019.

• À la SAS des Baumettes, les détenus préparent leur sortie un pied dedans, un pas dehors. — Article de Marsactu, 3 mars 2020.

Finlande¶

• Des prisons “ouvertes” pour réinsérer les détenus — Article d’Euronews, 19 juillet 2019.

• Dans les prisons ouvertes, surveiller (un peu) et réinsérer (beaucoup) — Reportage vidéo de France 24, 18 mai 2018.