Prison Insider. Bientôt arrivée au terme de votre mandat, quel constat faites-vous de la prise en charge des personnes atteintes de troubles de santé mentale en prison ?¶
Adeline Hazan. Le problème devient de plus en plus important, à mesure que les années passent. De très nombreux détenus souffrent de pathologies mentales. Un premier problème est celui de l’insuffisance de la définition et de la mesure de ces pathologies. La dernière étude épidémiologique date de 2007. L’urgence, pour moi, est celle d’une nouvelle enquête qui permettrait de mesurer exactement l’ampleur de la pathologie mentale en prison. La garde des Sceaux m’a confirmé que c’était prévu dans les prochains mois. Je pense qu’on est toujours, à peu près, dans les chiffres mesurés en 2007.
Environ 70% des personnes détenues avaient au moins un trouble psychologique ou mental et 25% un trouble psychotique grave. C’est absolument énorme et nécessite une actualisation urgente.
Le repérage au moment de la condamnation doit être amélioré. L’une des causes du nombre très important de détenus atteints de pathologies mentales relève du fait que l’incarcération peut créer ou amplifier des troubles. L’absence de repérage suffisant au moment de la condamnation amplifie le phénomène. La comparution immédiate ne permet absolument pas de repérer qui sont les personnes touchées. La loi Taubira du 15 août 2014, a prévu une importante amélioration du traitement des personnes souffrant de pathologies mentales. Celle-ci prévoyait une réduction du tiers de la peine pour les personnes souffrant d’une altération du discernement. Mais comme cette altération du discernement n’est souvent pas décelée au moment de la comparution immédiate ou de toute autre forme de jugement, et que les magistrats ne connaissent pas vraiment cette mesure, les personnes comparantes n’en bénéficient souvent pas. Un meilleur repérage et l’application de cette disposition du 15 août 2014 pourrait éviter que n’entrent en prison des personnes atteintes de pathologies mentales.
Que la pathologie soit occasionnée par l’incarcération ou qu’elle préexiste à l’entrée, elle n’est pas suffisamment prise en compte. Le personnel de l’administration pénitentiaire n’est pas formé à la détection de ces maladies. Quand la maladie ou les troubles sont repérés, le système de prise en charge de santé psychiatrique n’est pas suffisamment efficient. La création des services médicaux psychologiques régionaux (SMPR) et des unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA), devait améliorer la situation. En réalité, on voit bien dans la pratique que les SMPR sont, comme leur nom l’indique, régionaux. Ils ne peuvent prétendre couvrir l’ensemble des besoins d’une région. Les UHSA, au nombre de neuf actuellement, sont récentes (2010). Leur nombre est totalement insuffisant. La deuxième tranche de constructions va être lancée. Elle aurait dû l’être depuis longtemps.
La prise en charge est souvent satisfaisante pendant le séjour en UHSA mais le gros problème est la rupture de la continuité des soins quand les personnes réintégrent une détention normale, car la prise en charge spécifique arrive à son terme.
Le bénéfice du séjour en UHSA est très vite détruit par le retour en détention normale avec une prise en charge insuffisante, un manque de psychiatres, une mauvaise écoute des demandes des détenus et de leurs pathologies.
Certaines unités pour malades difficiles (UMD) fonctionnent bien. Elles disposent d’un personnel plus important pour chaque détenu. La preuve en est que parfois les détenus ne souhaitent pas repartir en détention normale. Le régime est assez strict mais leur prise en charge est plus fine au niveau psychiatrique. Par contre, leurs droits sont mal exercés, par exemple les visites des familles et l’usage du tabac. A l’inverse, certains, en raison de ces droits moindres, demandent à quitter l’UMD.