France : "sortir du diktat carcéral"

Sylvain Lhuissier. L’idée principale du livre est de sortir du diktat carcéral et de la croyance que la prison constitue une solution magique pour lutter contre la délinquance. La prison n’est pas une garantie de sécurité et pourtant elle s’est imposée comme une solution par défaut. Du point de vue du citoyen, la seule chose que l’on connait sur la prison, c’est qu’elle est surpeuplée. Cette information est insuffisante : premièrement, elle ne dit pas pourquoi la population carcérale a été multipliée par 2,3 en 50 ans, ni pourquoi la construction de nouveaux établissements ne permet pas de résorber la surpopulation ; deuxièmement, elle ne dit rien de l’utilité de la prison, des résultats qu’elle produit - notamment la récidive, presque 60 % - , ainsi que des conséquences qu’elle entraîne en termes de santé mentale, de pathologies psychiques et d’addictions par exemple.

On attend deux choses de la prison : qu’elle garantisse notre sécurité et qu’elle réinsère. C’est ce que nous prétendons. C’est une illusion. Car mettre une personne cinq, dix ans, quinze ans en prison ne nous protège pas si cette même personne, en sortant de prison, récidive davantage que si elle n’y avait jamais été placée. Le pari est donc raté.

J’ai essayé de développer tout cela dans mon livre mais j’ai souhaité aller un cran plus loin. Je me suis aventuré à aborder des aspects inavoués. La prison est étroitement liée à cette fonction de châtiment dont la société peine à se départir. Collectivement, on attend encore de la peine de prison qu’elle fasse payer le détenu, qu’il souffre, qu’il en bave. D’une manière collectivement inconsciente, il y aurait quelque chose de satisfaisant à ce que les conditions de détention soient terribles, que la souffrance fasse partie de la peine. Dès que les conditions s’améliorent, on entend des phrases comme “la prison c’est le club Med”.

Malheureusement, tant que nous n’aurons pas collectivement remis ceci à plat, nous ne règlerons pas le problème. En définitive, la prison poursuit un second rôle inavoué, celui d’entériner une forme de marginalisation de certaines personnes de la société. Apparemment, telle personne y aurait sa place et pas une autre. Ce que cela signifie en creux, c’est que certaines catégories de personnes dérangent et ne trouvent pas leur place dans la société. Elles se retrouvent en prison, sont rendues invisibles, là où tous les échecs des politiques publiques se concentrent : ceux de la santé (tous les malades psychiques), ceux de l’éducation nationale (si l’on regarde le taux de diplômés ou d’alphabétisation), ceux de la discrimination… Il est grand temps de faire évoluer les attentes que nous avons pour la prison. Elles sont archaïques.

SL. Les peines alternatives à l’emprisonnement sont nombreuses car il y a des peines autonomes. On peut citer la détention à domicile sous surveillance électronique, le travail d’intérêt général (TIG) auquel je me suis particulièrement intéressé, mais aussi les alternatives aux poursuites au cours de la procédure (des stages, des jours amendes, le travail non rémunéré qui est une version allégée du TIG). Quand j’entends parler des alternatives à la prison, les deux points que j’ai voulu faire ressortir dans mon livre, c’est l’existence de services tels que les services pénitentiaires d’insertion et de probation, les SPIP, que peu de gens connaissent. C’est comme si on connaissait les médecins mais qu’on ne savait pas que les pharmaciens existaient ! C’est embêtant de les oublier pour comprendre le milieu de la justice et des peines. Leur rôle est prépondérant. Ce sont eux qui accompagnent l’exécution des peines. Pour comprendre leur rôle, il faut comprendre que les alternatives, avant d’être une peine en soi, poursuivent un objectif, celui de la désistance, c’est-à-dire l’abandon des actes de délinquance. La question à laquelle il s’agit de répondre n’est donc pas : “à quoi faut-il condamner la personne ?” mais plutôt “que mettre en place pour qu’elle ne recommence pas ?”. C’était l’objectif de la contrainte pénale mise en place avec Christiane Taubira. Mais le dispositif a assez mal vécu alors qu’il permettait un accompagnement renforcé, et toutes sortes de mesures utiles à la désistance : stage de gestion des émotions pour prévenir les violences, soins spécifiques, tout un accompagnement à la carte.

Nous avons constaté une chute drastique du nombre des personnes détenues. Ce que cela m’inspire déjà, c’est que mettre fin à la surpopulation, ce n’est pas très compliqué. Concrètement, cette baisse s’est opérée en trois mois, grâce à une volonté partagée. Or, on ne constate pas de hordes de délinquants dans les rues, ce qui est une représentation que certains pourraient avoir.

La question, désormais, est de trouver des façons de maintenir et de poursuivre cette amélioration, car certains établissements sont encore surpeuplés. Les peines alternatives à l’incarcération permettraient de ne pas remplir à nouveau les prisons avec l’activité judiciaire qui reprend. Il faut bien avoir à l’esprit que les peines de prison de moins d’un an ont rarement du sens et rarement de raison d’être prononcées. On aurait tout intérêt à utiliser davantage les peines alternatives. Pour l’accompagnement en fin de peine, on retrouve les mêmes outils qui permettent une sortie progressive et constructive. Dans le cadre de la crise du Covid, il y a eu des aménagements prononcés pour des personnes à qui il restait deux mois, trois mois de peine… C’est une bonne idée. Il faut mettre de la probation pour assurer un accompagnement SPIP en fin de peine. Ce sont les mêmes outils à utiliser pour la probation en alternative et en fin de peine. Ils permettraient de faire sortir des personnes de prison et éviter les sorties sèches.

SL. J’ai suivi ceci d’assez loin et ne m’y suis pas impliqué personnellement en tant qu’ancien génépiste. Le Genepi a acté l’arrêt des interventions en détention, la fin des ateliers et du soutien scolaire. Le ministère de la Justice a arrêté le financement de l’association. En terme de résultats, c’est un immense gâchis. Je ne suis pas sûr qu’on ait pris totalement la mesure de ce gâchis. La première association que les gens connaissent lorsqu’on leur parle de la prison, c’est le Genepi. Beaucoup de personnes qui développent une vocation sur le sujet, les juges d’application des peines, les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation, engagés bénévoles ou salariés d’associations : beaucoup sont passés par le Genepi. J’ai personnellement l’impression qu’il y a deux canaux déclencheurs pour s’intéresser aux prisons : assister à des audiences judiciaires et avoir croisé la route du Genepi.

On n’a pas mesuré la fenêtre que constituait cette association : un pont entre la société et la prison s’est cassé brutalement.

La position du Genepi est désormais de se concentrer sur la mission de sensibilisation et d’interpellation. J’ai peur qu’ils ne se soient pas rendus compte que leur force était de faire entrer des étudiants en prison et leur permettre d’appréhender par eux-mêmes la réalité de la détention. Je crois qu’on a perdu le plus bel outil d’interpellation dont nous disposions. Le Genepi est une association qui fait face à des défis particuliers : chaque année, ce sont la moitié de ses membres et de son bureau qui sont renouvelés. C’est un équilibre précaire et la confiance est difficile à maintenir avec les partenaires quand les interlocuteurs changent tous les ans. Le Genepi a certainement un peu pâti de l’absence de continuité. Dans cette situation à vrai dire, je ne suis pas sûr que la position que l’on peut qualifier d’ “extrême” du bureau national soit représentative de celle de tous ses membres. Je comprends pourquoi ils défendent cette ligne radicale, mais il a pu y avoir un décalage entre de nombreux bénévoles qui font du travail en prison et d’autres qui choisissent d’y engager plus de temps. Ceux-là même qui vont faire la ligne nationale et régionale de l’association.

L’État a eu une réaction brutale face au Génépi. Il est important que les associations puissent intervenir sur le terrain et adopter une posture critique vis-à-vis de l’action de l’État. Là, il n’y a pas de solution : soit on dénonce soit on agit. C’est une manière d’imposer les règles qui me semble assez propre au ministère de la Justice. Je ne pense pas qu’on demanderait à Emmaüs de fermer tous ses foyers à chaque fois qu’il dénonce publiquement les conditions du mal-logement et de précarité. Les associations peuvent faire les deux, avec certainement quelques points de vigilance. J’ai été étonné de la fébrilité de la réaction de l’administration tant au niveau local que national. Un des slogans qui a beaucoup choqué, je crois, était “la prison tue”. Certains l’ont entendu comme “les surveillants sont des criminels”, et je ne pense pas que c’était ce qui était dit. Il serait intéressant que le ministère de la Justice puisse gagner en sérénité dans son rapport avec la critique.