FV. Les villes françaises, construites pour des hommes bourgeois et valides, sont inhospitalières aux femmes. Toute femme s’est fait mettre dans la tête qu’il ne faut pas y marcher seule à 4h du matin : on sait que c’est dangereux. La ville est aussi inhospitalière aux migrants : on les chasse, ou on les fait vivre dans des conditions atroces. Elle est inhospitalière aux personnes âgées. Tout est construit pour des personnes jeunes et valides. Elle est inhospitalière aux enfants, aux jeunes noirs et aux jeunes arabes, qui savent qu’ils ne doivent pas aller dans certains quartiers. Ce n’est pas écrit “interdit”, comme cela l’était aux États-Unis, mais on le sait.
L’accroissement de la surveillance et des contrôles renforce les ségrégations. La ségrégation socio-spatiale des villes construit un environnement hostile à des groupes de personnes.
Les villes gentrifiées sont toujours plus hostiles aux sans-logis, alors qu’il y a de plus en plus de personnes à la rue. Les systèmes de surveillance et de contrôle effacent de la vue la misère croissante. Les pivots placés devant les magasins empêchent les personnes à la rue de s’asseoir, les barres en métal fixées aux bancs détournent ceux qui auraient voulu s’allonger pour dormir. Ces choses multiplient l’inhospitalité, tout en rendant la ville plus agréable pour certains corps.
La construction de villes très propres, où règnera une soi-disant sécurité, dans lesquelles les femmes pourront sortir comme elles le veulent pour faire leur jogging, promener leurs enfants et leurs chiens, sera dédiée à certaines femmes de la bourgeoisie blanche. Les personnes racisées et de classes populaires – les Roms, les personnes noires et les personnes d’origine maghrébine - ne seront autorisées à entrer dans ces villes vertes, bordées de jardins et bardées de systèmes de surveillance, que parce qu’elles y sont femmes de ménage, caissières, infirmières, vigiles, éboueurs…
La vie bourgeoise repose sur les visas d’entrée pour ces corps racisés invisibilisés qui assurent le confort et la sécurité de la classe dominante.
Les outils de surveillance et de contrôle protègent une classe sociale spécifique. Ils ne défendent pas un droit universel mais celui de certaines et de certains. Cette architecture urbaine renforce les inégalités de race. Elle met à distance aussi les travailleuses du sexe, les personnes trans, les gays, tous ceux et celles qui ne rentrent pas dans la norme de la “bonne personne”. Vous êtes rejetés de plus en plus loin de cette ville. On vous repousse dans des lieux abandonnés, à l’eau polluée, sans jardins ni parcs. Le transport y est compliqué et cher, il ne sert qu’à aller travailler. Les lieux de culture ne vous sont pas ouverts.
Les médias construisent l’insécurité : ils nous apprennent à avoir peur des personnes qui traîneraient dans les rues, à avoir peur de celles qui sont sans-abri, de celles qui sont sales parce qu’elles n’ont pas accès à l’hygiène dont nous bénéficions. Tout ceci est façonné comme une menace à notre intégrité. Doucement, l’air de rien, on va vous faire adhérer à l’idée qu’il faut faire disparaître ces corps. La vie de ces personnes ne compte pas vraiment. Elles ne sont vues que comme des présences dérangeantes et nous forcent à nous interroger sur le nombre de personnes sans-abris, ou sur les conditions de vie scandaleuses des migrants. Tout ceci doit être effacé au nom de la sécuritarisation.