Ce mouvement proteste contre les conditions de détention du leader kurde Abdullah Öcalan, l’un des principaux fondateurs du PKK (Parti des Travailleurs du Kurdistan), qui purge une peine de prison à perpétuité incompressible sur l’île d’Imrali, depuis 1999, où seuls cinq autres prisonniers sont détenus. Il est soumis à un régime d’isolement strict depuis avril 2015, une situation dont s’était inquiété le Comité pour la prévention de la torture du Conseil de l’Europe, dans un rapport de mars 2018.
Alors qu’Öcalan recevait de nombreuses visites de parlementaires en 2014 et début 2015 dans le cadre des négociations de paix, il n’a pas reçu son avocat depuis 2011 et n’a pas vu ses proches depuis avril 2015, excepté une courte visite de son frère en 2016 et en janvier dernier. Loin d’indiquer la fin de ce régime d’isolement, l’autorisation de cette visite servait principalement à calmer les rumeurs de sa mort en détention.
La mise sous silence de cette figure du mouvement kurde depuis près de quatre ans accompagne l’enterrement par l’État de l’approche politique d’une résolution de la question kurde. Bien qu’incarcéré, il jouait en effet un rôle important, à la fois symbolique et concret, au sein des négociations de paix entre l’État et le mouvement, engagées officiellement début 2013. Celles-ci ont pris fin au cours de la campagne pour les élections législatives de juin 2015 et suite à la reprise des affrontements armés entre l’Etat et le mouvement armé kurde, à l’été 2015.
Cette grève de la faim, au delà de la défense des droits d’Öcalan, est aussi un acte de protestation face à la répression généralisée d’acteurs politiques ayant pourtant fait le choix d’agir dans le cadre des institutions légales, anéantissant pour l’instant tout espoir de paix en Turquie. C’est aussi une réaction à l’étouffement de toute critique des autorités actuelles.
D’après un rapport publié par le HDP en décembre 2018, quatorze de ses ex-députés (dont l’immunité parlementaire avait été levée en 2016) sont détenus, et douze ont été condamnés à de la prison ferme sans mandat de dépôt, en attente de l’épuisement des voies de recours internes. Cinquante anciens co-maires HDP sont actuellement en détention (vingt-neuf en détention provisoire et vingt-et-un condamnés). La Turquie a été condamnée, en novembre 2018, par la Cour européenne des droits l’homme dans un arrêt concernant la détention provisoire de l’ancien co-président du HDP, Selahattin Demirtas. La Cour considérait que “Les prolongations de la privation de liberté de l’intéressé, (…) poursuivaient un but inavoué prédominant, celui d’étouffer le pluralisme et de limiter le libre jeu du débat politique (…)”.
Selahattin Demirtas, détenu depuis novembre 2016, a été condamné à quatre ans et huit mois de prison en septembre dernier pour “propagande terroriste”, mais son procès continue avec d’autres affaires, pour lesquelles il risque jusqu’à 142 ans de prison. La Turquie n’a toujours pas pris de mesure en application de cette décision, son président, Recep Tayyip Erdogan, déclarant ouvertement que les décisions de la CEDH ne contraignaient pas le pays, pourtant signataire de ladite Convention.
Aux élus et personnalités politiques du parti pro-kurde s’ajoutent les nombreux journalistes (plus de 165 journalistes emprisonnés à ce jour selon Reporters sans frontières, chercheurs, étudiants, artistes, opposants politiques arrêtés dans le cadre des purges de l’après tentative de coup d’État du 15 juillet 2016 et de nombreuses autres figures de la société civile. L’homme d’affaire et mécène Osman Kavala, internationalement reconnu, est détenu depuis plus d’un an sans avoir été mis en examen. Tous sont incarcérés ou font l’objet de poursuites judiciaires sous la loi anti-terroriste, droit d’exception servant d’arme de répression de toute contestation politique en Turquie.