Italie : "l’action politique est impuissante"

Rita Bernardini. Commençons par les chiffres. Au cours de la première vague (jusqu’en juin), 284 personnes détenues ont été contaminées et aucun des 189 établissements n’a enregistré de chiffres supérieurs à dix cas positifs. Au cours de la deuxième vague, les données mises à jour au 19 novembre présentent un tableau très alarmant : 827 personnes détenues et 1 190 employés de l’administration pénitentiaire, dont 946 surveillants sont testés positifs. Ils se répartissent sur 139 établissements. Le coronavirus est aujourd’hui activement présent dans 76 prisons. Huit sont des clusters, avec des dizaines de cas positifs. Ces données montrent l’absence totale de politique d’anticipation de la deuxième vague de la part des autorités italiennes. Il suffit de penser à la seule décision aussi raisonnable que souhaitable prise par Francesco Basentini, le directeur de l’administration pénitentiaire. Dans sa circulaire du 21 mars 2020, il avait réaffirmé que les personnes détenues porteuses de pathologies ou de graves problèmes de santé devaient faire l’objet d’un signalement au niveau des établissements. Cette règle, conforme aux articles 146 et 147 du Code pénal de 1930 - pour ainsi dire celui de l’époque fasciste - réglemente l’exécution de la peine à domicile pour raison de santé, en accord avec les règles pénitentiaires de 1975. Cette décision a conduit à sa démission. Je me suis personnellement toujours opposée à Francesco Basentini pour son incapacité à prendre les bonnes décisions, en particulier à propos de la surpopulation endémique que connaissent les établissements pénitentiaires. Je l’ai pourtant défendu quand il a été contraint de démissionner, au printemps dernier, à la suite d’une campagne médiatique fondée sur de fausses informations. Cette circulaire a servi de prétexte pour dire qu’il était à l’origine de la libération des chefs mafieux incarcérés sous le régime 41-bis. S’en est suivie une campagne médiatique qui ciblait 374 personnes incarcérées pour des infractions liées au crime organisé sur les 6 000 personnes élargies. Quatre seulement répondaient au régime 41-bis¹.

En réalité, la très grande majorité des personnes libérées ont été placées en détention à domicile ou assignées à résidence car elles présentaient des pathologies graves.

Il s’agissait de malades en phase terminale, atteints de maladies rares, de leucémies, de maladies auto-immunes, de personnes en situation de handicap et de personnes âgées grabataires. Des personnes qui, indépendamment du risque de contagion et de leur crime, n’auraient pas dû se trouver en prison, mais dans des lieux de soins. Des cas pour lesquels la Covid-19 a été une sorte de circonstance aggravante.

RB. La propagation du coronavirus est étroitement liée à la surpopulation. L’ampleur de cette deuxième vague est impressionnante : le nombre de personnes contaminées, entre le personnel et les personnes détenues, atteint, voire dépasse 2 000 cas. C’est davantage que lors de la première vague. À la prison de Turin, deux enfants détenus avec leur mère au sein du quartier pour mères détenues (Istituto a custodia attenuata per detenute madri) sont contaminés.

Les chefs d’établissement et les juges d’application des peines ont, au cours de la première vague, œuvré pour la libération de 6 000 personnes détenues. Ils avaient pris conscience de la gravité du problème.

Là, tout s’est arrêté, gelé. Les mesures de libérations prévoient tellement d’exclusions et d’obligations que très peu de personnes détenues proches de la sortie ont pu et pourront en bénéficier. Certaines nécessitent d’avoir recours à des bracelets électroniques. Or, ces derniers sont indisponibles. Le bilan est donc celui d’une politique régressive et réactionnaire, qui alimente la peur sur la base de fausses informations.

RB. L’action politique, plus qu’impuissante, est décevante et désespérante. J’ai entamé une grève de la faim, le 10 novembre 2020 à minuit. C’est une lutte non violente. Elle n’est qu’espoir. “Spes contra spem”, c’est-à-dire “être espoir contre tout espoir“, comme le disait Marco Pannella. Par cette initiative de non-violence et de dialogue, je demande une mesure d’amnistie, de grâce et une mesure de “libération anticipée spéciale” (la durée de la libération passerait de 45 à 75 jours) pour diminuer le nombre de personnes détenues et rendre possibles les mesures de distanciation actuellement inexistantes.

Aujourd’hui, les prisons disposent de 45 000 places pour 54 868 personnes détenues. En outre, les unités d’isolement sanitaire, que personne ne peut contrôler, sont sordides, sales, vétustes et sont dotées uniquement de douches communes.

Pour mieux comprendre dans quelle situation nous nous trouvons, il suffit de dire que la Covid-19 est entrée dans la zone la plus impénétrable du monde pénitentiaire, à savoir le 41-bis, c’est-à-dire le régime le plus sévère reposant sur un isolement total : de nombreux cas positifs ont été enregistrés tant à la prison de Milan-Opera qu’à la prison de Tolmezzo. Dans cette dernière, 161 personnes détenues sur 206 sont positives à la Covid-19. À ce jour, 500 personnes ont rejoint l’action de lutte non-violente avec un ou plusieurs jours de grève de la faim. Parmi eux, on retrouve aussi des personnalités du monde de la culture, comme l’écrivain Umberto Veronesi. En l’absence de mesures drastiques de réduction de la surpopulation, il risque d’y avoir une véritable hécatombe. La santé en prison était déjà catastrophique avant l’arrivée de la pandémie et l’est encore plus aujourd’hui.

Les personnes condamnées admises au régime de semi-liberté et celles admises au travail à l’extérieur pouvaient se voir accorder par le magistrat de surveillance des permis d’une durée supérieure à 15 jours au plus tard le 31 décembre 2020. Pour les personnes détenues qui doivent purger une peine pouvant aller jusqu’à 18 mois, la détention à domicile peut être appliquée et soumise au port du bracelet électronique. On dénombre environ 3 000 personnes détenues qui pourraient bénéficier de la détention à domicile, et 2 000 en semi-liberté et admises au travail à l’extérieur qui pourraient obtenir des permis extraordinaires et donc ne pas retourner passer la nuit en prison.

Au total, ce sont 5 000 personnes détenues qui pourraient bénéficier de permis spéciaux pour freiner la diffusion de la Covid-19 dans les établissements pénitentiaires.

Le ministre de la justice Alfonso Bonadese a annoncé sur Facebook l’obligation du port du bracelet électronique pour les personnes détenues qui obtiennent, par décision du juge d’application des peines, “la détention à domicile, avec une peine résiduelle supérieure à six mois (et inférieure à dix-huit mois, comme le prévoit déjà la législation en vigueur)“ : l’accès à la détention à domicile est interdit aux personnes qui ont été “condamnées pour actes en lien avec la mafia, terrorisme, corruption, achats des voix de la mafia (voto di scambio politico-mafioso), violences sexuelles, violences familiales et harcèlement, et aux personnes ayant fait l’objet d’une sanction disciplinaire (ou à l’encontre desquelles une procédure disciplinaire est en cours) pour avoir participé à des mutineries ou des révoltes dans les établissements pénitentiaires“.