Japon : surveiller et vieillir

Akaike Kazumasa. La première raison est d’ordre judiciaire. Au Japon, le parquet peut décider d’une inculpation de manière beaucoup plus discrétionnaire qu’en France. La réforme de la procédure pénale de 1948 a notamment supprimé du système japonais le juge d’instruction : toutes les compétences du juge d’instruction ont été transférées au procureur public. Les procureurs n’inculpent que 6.8% des suspects arrêtés par la police. Moins d’individus se retrouvent devant le tribunal qui lui, peut envoyer en détention. Les procureurs publics expliquent qu’ils examinent soigneusement les suspects qui doivent être condamnés à de la prison ferme, en se fondant sur des critères de dangerosité. Toutefois, si l’on pense au nombre élevé de détenus âgés qui sont incarcérés non pas en raison de leur dangerosité, mais parce qu’ils ont commis des actes de faible gravité en récidive, cet argument ne tient pas.

Ensuite, le Japon ne dispose pas d’alternatives à la prison, comme le placement sous surveillance électronique ou tout autre aménagement de peine existant en France. Dans certaines circonstances, un tribunal peut suspendre l’exécution de la peine et placer sous mesure probatoire la personne qui a été condamnée.

La probation pour les adultes est uniquement utilisée en tant que mesure complémentaire d’une suspension de peine.

La période de probation s’étend sur une période de un à cinq ans. Parmi les 52 567 personnes condamnées en 2017 à une peine d’emprisonnement, 32 267 (61,5%) ont vu l’exécution de leur peine suspendue et, parmi eux, 3 034 ont été placés en probation.

AK. Les Japonais n’ont pas d’informations sur les prisons et sur le fonctionnement judiciaire en général. On entend souvent les mêmes critiques qu’en France alors que nos deux systèmes sont complètement différents.

Premièrement, on peut dire que les médias japonais s’intéressent énormément aux crimes et aux faits divers. Ils en parlent beaucoup, alors que le taux de criminalité ici est moins important que dans la plupart des pays européens. En cas de crime grave, curieux ou scandaleux, les médias en communiquent les moindres détails, l’affaire est longuement suivie jusqu’à l’arrestation du suspect. Mais ils ne portent pas d‘intérêt à l’après.

Les médias parlent peu du procès et du jugement lui-même. Il y a donc peu d’occasions de connaître les dysfonctionnements choquants du système pénitentiaire.

Si les journaux japonais traitent énormément des faits divers, je pourrais en dire de même des journaux français, même s’ils sont en général plus sensibles aux droits des détenus.

Comme la société a très peu de contacts avec le milieu carcéral, ce manque d’informations conduit les Japonais à y être assez indifférents.
Peu nombreux sont les bénévoles chargés par le Ministère des affaires juridiques ou les personnes extérieures comme les aumôniers qui entrent en prison. La plupart des enseignants en prison sont recrutés parmi les retraités de leur corps ou parmi le personnel pénitentiaire. Autrement dit, l’éducation dispensée dans la prison est dirigée par le directeur de la prison.

La majorité des infirmiers est recrutée parmi les surveillants soignants qualifiés avec leur carrière de personnel pénitentiaire. Les médecins sont employés non pas par l’hôpital mais par le ministère des Affaires juridiques. Les consultations et traitements pour les détenus sont effectués par les médecins pénitentiaires sous le contrôle du directeur de la prison.

La politique de l’administration pénitentiaire relève de “l’autarcie humaine”, selon laquelle tous les services de la prison dépendent du personnel pénitentiaire. Je crois qu’il est très difficile d’introduire dans le système actuel la politique française dite du “décloisonnement”.

Vient ensuite le travail pénitentiaire. Le Japon prévoit deux sortes de peines privatives de liberté : l’une est la réclusion, l’autre est la détention. 99% des condamnés en 2017 sont des condamnés à la peine de réclusion. Or, la loi pénale japonaise dispose que le directeur de la prison doit “leur donner le travail prescrit”. Le “travail prescrit” est toujours considéré comme obligatoire. La réforme de la loi pénale de 1995 supprime le terme de “travaux forcés” qu’avait instauré la loi pénale de 1908. Il lui est substitué celui de “travail pénitentiaire prescrit”. Il traite en principe du travail pénitentiaire et, dans certaines situations, de quelques activités visant la réinsertion.

Quoi qu’il en soit, le travail pénitentiaire est considéré comme une partie de la peine de réclusion et est très importante pour l’administration pénitentiaire.

La nouvelle loi pénale de 2005 inclut comme motif de sanctions disciplinaire les “sabotages individuels sans raison valable des travaux pénitentiaires et des activités de réinsertion”. Parmi l’ensemble des sanctions de 2017, au nombre de 42 058, plus de 30% concernent ce motif de “sabotage”. En 2017, 45 968 détenus travaillent tous les jours. La rémunération moyenne est très basse, de l’ordre de 4 340 yen (= 35 euros) par mois.

AK. Avec le titre “De plus en plus de Japonais âgés se font arrêter pour profiter de la prison”, Le Monde rend compte de la situation actuelle des détenus âgés. Le Japon possède l’un des plus faibles taux de criminalité du monde et une population carcérale relativement peu importante. Mais celle-ci vieillit vite. Un quart de la population aurait plus de 65 ans. Ce sera le cas de 40 % en 2050.
La délinquance des Japonais âgés et surtout des femmes est un phénomène apparu depuis une décennie qui va en s’aggravant. Selon le Livre blanc sur la criminalité, de décembre 2018, 21,1 % des personnes arrêtées en 2017 avaient plus de 65 ans alors qu’en 2000, cette tranche d’âge ne représentait que 5,8 % de la population carcérale. Les délinquants âgés sont arrêtés pour des menus larcins. Une minorité dit préférer la prison à une vie en-dessous du seuil de pauvreté ou à une vie de solitude¹.

La forte présence de prisonniers âgés au Japon démontre l’effondrement de loi d’Airain selon laquelle les conditions de vie devraient toujours être plus rigoureuses voire misérables en prison qu’à l’extérieur. Cette loi dirigeait et dirige la politique pénitentiaire de fond au Japon.

Ce phénomène interroge le sens de la peine dans le pays : la prison devient pour certains l’équivalent d’une maison de retraite et leur incarcération revient à une prise en charge par l’Etat compensant l’insuffisance des retraites.

Beaucoup de femmes âgées vivent sous le seuil de pauvreté en raison d’une très faible retraite suite au décès de leur mari. Elles seraient plus nombreuses que les hommes à chercher à se faire emprisonner. En 2017, une détenue sur cinq était âgée de plus de 65 ans. Quand elles sortent, elles récidivent plus que les hommes. Globalement, un quart des anciens détenus de plus de 65 ans récidive dans les deux ans qui suivent leur libération. L’article 57 de la loi pénale dispose que des faits commis en récidive sont punis plus sévèrement et la peine s’en trouve allongée. Le phénomène va donc s’aggraver.

Ensuite, les détenus âgés vivent leur vieillesse en détention. Ils en montrent tous les symptômes : ils entendent mal et tardent à exécuter les ordres ; certains sont incontinents, d’autres ont des problèmes de mobilité et il faut parfois les aider à se nourrir et à se laver. Cela représente un surcroît de travail pour les surveillants. Des prisons ont commencé à aménager des quartiers réservés aux détenus âgés. Les choses sont en train de changer. Des mécanismes sont développés afin de ne pas incarcérer les auteurs d’infraction qui sont trop âgés et recourir plutôt à des mesures de protection sociale et des maisons de retraite. De telles mesures sont aussi mises en place au moment de leur sortie de prison. Dans les faits toutefois, elles ne sont pas suffisantes.