Charity. Les établissements disposent souvent d’un quartier spécial pour les personnes atteintes de troubles psychiques, la plupart du temps, le quartier D ou E. On y affecte uniquement les personnes atteintes des troubles les plus sévères. Ils ne participent pas à la vie de la prison. On les met à part pour qu’ils restent dociles, sous contrôle, pour qu’ils ne dérangent plus les autres. C’est indubitablement de la discrimination sociale. Ils ne quittent pas leur quartier et ne voient jamais la lumière du jour.
Le personnel pénitentiaire n’envisage même pas de les impliquer dans les programmes d’éducation primaire ou secondaire. Ils ne participent ni aux événements sociaux ni aux événements spirituels.
Le personnel tend à négliger complètement les personnes qui présentent des troubles moins sévères, ce qui les rend pratiquement invisibles, sans reconnaissance de leur situation. Lorsque les troubles sont plus sérieux, les prisonniers peuvent être admis à la clinique de la prison. L’accès aux infrastructures psychiatriques est extrêmement lent à cause du manque de ressources humaines et financières. Le Kenya ne compte que 125 psychiatres, dont la plupart travaillent en libéral. Ils voient les prisonniers, essentiellement, lorsqu’une expertise psychiatrique est nécessaire pour juger de leur responsabilité pénale.
Parfois, les prisonniers atteints de troubles psychiques sont envoyés au service de haute sécurité de l’hôpital de Mathari, notre hôpital psychiatrique national. Le bâtiment est vieux d’un siècle, avec un système d’assainissement inqualifiable. Certaines chambres d’isolement n’ont pas de toilettes : on s’y contente d’un seau.
L’hôpital de Mathari accueille également les personnes en attente d’une évaluation psychiatrique, la plupart du temps dans le cadre d’enquêtes pour homicide, et des personnes “coupables mais reconnues aliénées”. Elles restent souvent très longtemps à Mathari. Une fois condamnées, elles doivent suivre un traitement en trois étapes. La réinsertion est entamée après remise d’un rapport favorable par le médecin et un ergothérapeute. Mais les crimes commis sont la plupart du temps socialement si inacceptables que les coupables sont rejetés par leur famille et ne peuvent pas réintégrer leur communauté d’origine. Ils reçoivent parfois des menaces de mort et n’ont personne qui puisse les prendre en charge et s’assurer qu’ils suivent leur traitement, ce qui est une condition indispensable à leur libération. Ils peuvent donc rester 30 ans à Mathari, alors que le temps d’enfermement maximal recommandé dans ce genre de cas est de trois ans.
Il faut tout de même signaler quelques avancées remarquables ces derniers temps. Certaines personnes déclarées pénalement irresponsables, mais maintenues en détention, commencent à être libérées. La procédure dite de presidential pleasure, le maintien en détention sans limite de temps des personnes “coupables mais aliénées”, a été déclarée anticonstitutionnelle en février 2022. Un grand nombre des personnes concernées restent cependant prisonnières en raison de retards du système judiciaire, ce qui entraîne une grave détresse psychologique.