L’ensemble des huit pays analysés dispose d’un système de prise en charge des auteurs d’infraction souffrant de troubles psychiques. Sur le papier, chacun de ces systèmes semble satisfaire aux normes européennes. En réalité, les moyens, financiers et humains sont très insuffisants. Il en résulte une prise en charge inadaptée, parfois attentatoire à la dignité des personnes malades psychiques.
Une vision sécuritaire de la maladie psychique s’installe en petites touches par une série de réformes. La pénalisation des personnes qui souffrent de troubles psychiques est de plus en plus systématique. Le nombre de déclarations d’irresponsabilité pénale est globalement en baisse. L’opinion publique serait méfiante voire hostile à l’égard des malades psychiques. La personne souffrant de troubles psychiques qui commet une infraction n’est plus vue comme un malade nécessitant des soins mais comme un danger “qui menace ou compromet la sureté, l’existence de quelqu’un ou quelque chose”. La laisser en liberté comporte des risques. Dans le même temps, les soins psychiatriques se développent au sein des établissements pénitentiaires. Les prisons sont perçues comme un moyen économique et sécurisé de “gérer” cette population de malades ramenés au rang de numéro d’écrou.

L’État belge est l’un des précurseurs de cette vision sécuritaire. Il instaure un système dit de défense sociale dès 1930. Les personnes reconnues pénalement irresponsables sous obligation de soins sont d’abord placées en annexe psychiatrique au sein des établissements pénitentiaires, avant d’être transférées en établissement de défense sociale. L’objectif n’est pas de soigner, mais de protéger la société de ces personnes jugées trop dangereuses. Le Comité européen pour la prévention de la torture (CPT) souligne les déficiences de prise en charge des personnes sous mesure d’internement et l’absence d’activités thérapeutiques adaptées. La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) dénonce les conséquences de ce système sur les conditions de détention et d’internement.

Le sort d’une personne souffrant de troubles psychiques qui commet une infraction varie d’un pays à un autre. Elle peut être déclarée pénalement irresponsable si elle commet cet acte sans avoir conscience de son illicéité : elle ne serait alors pas en mesure de comprendre son jugement. Dans ce cas, elle fait l’objet non pas d’une peine d’enfermement mais d’une obligation de soins. Pourtant, les juges d’une majorité d’États peuvent décider d’imposer conjointement une peine de prison et une obligation de soins.

Le système de la “double voie” s’applique en Allemagne. L’auteur de l’infraction peut, à l’issue de sa peine, se voir imposer une obligation de soins appelée “internement de sûreté”. En Espagne, lorsque la personne est conjointement condamnée à une peine de prison et placée sous obligation de soins, elle réalise d’abord la mesure avant de rejoindre un établissement pénitentiaire. Aux Pays-Bas, elle réalise les deux tiers de sa peine en prison avant de rejoindre un centre de soins psychiques.

Les obligations de soins se déroulent parfois au sein même de la prison. En Suisse, les personnes soumises à une mesure thérapeutique institutionnelle peuvent être placées en établissement pénitentiaire si celui-ci propose un accès aux soins jugé adapté. Aucune unité spécifique ne leur est pourtant dédiée. Les personnes malades restent en détention ordinaire. Aux Pays-Bas, les établissements pénitentiaires psychiatriques (Penitentiary Psychiatric Center, PPC) sont situés au sein des prisons. Ils accueillent les personnes sous mesure de soins et les détenus qui nécessitent des soins.

À l’inverse, les personnes reconnues pénalement responsables peuvent être transférées en centre de soins psychiques. Ces derniers ne sont pas nécessairement dédiés aux personnes sous mesure de soins. Le juge décide d’un tel placement lorsque l’établissement pénitentiaire déclare ne pas être en mesure d’assurer la prise en charge de la personne. En France, les unités pour malades difficiles (UMD) et les unités de soins intensifs psychiatriques (USIP) des hôpitaux psychiatriques généraux accueillent tant les personnes détenues et les personnes pénalement irresponsables lorsqu’elles nécessitent des soins particulièrement importants, que les personnes ne relevant pas d’un parcours pénal.

Les personnes condamnées et celles sous mesure de soins peuvent, dans certains pays, se retrouver à partager les mêmes murs, que ce soit en prison ou à l’hôpital. Des personnes dont le statut juridique diffère peuvent être placées dans les mêmes unités, les mêmes cellules ou les mêmes chambres.

Un prisonnier belge témoigne au sujet de ses deux codétenus atteints de troubles psychiques : “Je deviens fou moi, Madame, avec les deux autres en cellule… Ils ont des maladies bizarres, l’un geint sans arrêt et l’autre crie !”.

Les États se sont presque tous dotés d’établissements de soins, d’ailes ou de services psychiatriques pénitentiaires dédiés à l’accueil des personnes déclarées pénalement irresponsables. Elles y sont placées généralement par le juge pour remplir l’obligation de soins qui leur est imposée. Ces établissements associent professionnels de santé et personnels pénitentiaires et dépendent, pour la plupart, de l’administration pénitentiaire.

Les centres de psychiatrie légale belges ont un fonctionnement mixte. L’administration pénitentiaire prend en charge la sécurité et les infrastructures, le ministère de la Santé gère les soins. Les patients sont majoritairement encadrés par des agents pénitentiaires. Le CPT rapporte que leur prise en charge est marquée par une logique sécuritaire. L’Espagne et les Pays-Bas disposent de centres de soins psychiatriques au sein d’établissements pénitentiaires. Des agents pénitentiaires assurent la surveillance des lieux. Ils ne disposent pas de formation spécifique à la prise en charge des troubles psychiques.

Le régime pénitentiaire s’applique à ces établissements et déteint sur la gestion des soins. Les patients des sections de défense sociale (SDS), en Belgique, peuvent par exemple, être placés à l’isolement pour des raisons disciplinaires. L’isolement se déroule dans la chambre du patient. Le CPT n’y reconnait aucune justification thérapeutique. L’hôpital psychiatrique pénitentiaire de Séville, en Espagne, est une ancienne infirmerie de prison de haute sécurité. Le régime disciplinaire ne s’y applique pas, mais nombre de ses règles sont héritées du régime carcéral : les mesures de contention mécanique et le placement à l’isolement sont courants.

L’Angleterre et le pays de Galles ont fait le choix de ne pas créer d’établissement psychiatrique pénitentiaire dédié aux personnes détenues ou sous obligation de soins. Celles-ci sont accueillies en hôpital psychiatrique. Le juge décide d’un tel placement lorsque l’établissement pénitentiaire qui doit les accueillir ne peut pas assurer leur prise en charge. Certains auteurs d’infraction sont placés en hôpital psychiatrique dit de “haute sécurité“. Les conditions de vie y sont proches de celles de la prison. L’accès aux activités est limité et l’isolement largement pratiqué.

La prise en charge médicale des personnes souffrant de troubles psychiques à l’intérieur d’établissements pénitentiaires brouille les limites entre soins et peine.

Les personnes qui souffrent de troubles psychiques sont nombreuses en prison. Certaines pathologies sont connues de l’administration dès l’entrée en détention, mais la majorité ne sont détectées qu’au cours de celle-ci. Ce sont souvent les surveillants - informés par les co-détenus - qui font les premiers signalements. Les agents pénitentiaires jouent un rôle particulier dans l’identification et l’accompagnement de ces personnes. Une formation sur la prise en charge des troubles psychiques ne leur est pourtant que rarement dispensée. Elle est réduite au strict minimum lorsqu’elle existe : un paradoxe alors que la prison se mue peu à peu en annexe de l’hôpital. Le manque de formation adéquate du personnel entraîne une prise en charge souvent inadaptée des personnes détenues qui souffrent de troubles psychiques. La Cour européenne des droits de l’homme considère que ce défaut de soins peut constituer une violation de la Convention.

En Espagne, le CPT note que les surveillants de l’unité d’accueil des femmes souffrant de troubles psychiques détenues à la prison catalane de Wad-Ras ne reçoivent aucune formation. Des agents pénitentiaires de Puerto III sont condamnés pour des faits de violence envers un détenu atteint de troubles psychiques. Ce dernier reçoit de nombreux coups de pied et de poing, avant de passer huit heures sous contention mécanique sur le ventre.

En Italie, plusieurs syndicats pénitentiaires dénoncent le manque de formation du personnel face au nombre important de personnes détenues souffrant de troubles psychiques. Certains surveillants n’osent intervenir, de peur d’aggraver la situation et de se retrouver dans l’incapacité de faire face à la violence qui en résulterait.

En France, aucune formation relative aux troubles psychiatriques et à leurs conséquences n’est obligatoire pour le personnel pénitentiaire. C’est à l’initiative de l’association Unafam que de telles formations sont proposées depuis 2019. Elles n’existent qu’en petit nombre, l’inscription est volontaire. Seules des formations concernant la prévention du suicide et l’automutilation étaient dispensées jusque-là. Ces lacunes ne sont pas sans conséquence : le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), Mécanisme national de prévention de la torture (MNP) français rapporte, en 2019, le cas de “personnes atteintes de troubles mentaux [qui sont] restées enfermées dans leurs cellules, abandonnées à elles-mêmes, sans qu’aucun soignant n’intervienne au motif que ‘le patient n’avait pas fait de demande’”.

L’Angleterre offre, depuis 2016, une formation d’introduction à la santé psychique de quatre heures aux nouveaux agents pénitentiaires. Aucune remise à niveau n’est prévue pour ceux déjà en poste. Les formations complémentaires sont généralement annulées du fait du faible taux de participation des surveillants.

La Belgique est condamnée par la CEDH, en 2017, après le décès d’une personne détenue souffrant de troubles psychiques. Cette dernière succombe à la suite de violences de la part d’agents pénitentiaires. Ces derniers n’avaient bénéficié́ que d’une formation sommaire sur les troubles psychiques. Un module spécifique de six jours est désormais obligatoire pour l’ensemble du personnel pénitentiaire belge.

En Suisse, les surveillants pénitentiaires suivent pendant environ cinq jours une formation de base sur la psychiatrie. Des enseignements sur les différents troubles psychiques et la prévention du suicide y sont dispensés. Le personnel qui le souhaite peut également participer à une formation relative à la prise en charge des détenus souffrant de troubles psychiques d’une durée de 15 jours environ. Cette formation est complétée par un stage de trois semaines dans une clinique psychiatrique.

L’accès aux soins et leur continuité en prison sont des droits reconnus dans tous les pays analysés. Chacun organise un système de soins de santé psychique en prison. Il est, en réalité, généralement déficitaire en raison notamment du manque de places disponibles.

En France, 26 services médico-psychiatriques régionaux (SMPR) assurent une hospitalisation de jour des personnes détenues souffrant de troubles psychiques. Ils accueillent entre 1 500 et 2 000 détenus par an, près de 3 % de la population carcérale totale alors que 22% sont en souffrance psychique. L’équipe médicale est chargée de proposer des soins adaptés aux différentes pathologies. Les délais d’attente pour y être admis sont cependant généralement longs en raison des nombreuses demandes. Ils sont aggravés par le manque de personnel de soins : 22 % des postes ne sont pas pourvus en 2016.

En Allemagne, six prisons disposent d’une unité psychiatrique de jour, sur l’ensemble des 179 établissements pénitentiaires du pays.
En Angleterre, une personne détenue attend parfois 27 semaines pour accéder à une psychothérapie individuelle. Des alertes font état de la surcharge des unités de soins anglaises et du manque de moyens. Plus de 120 personnes sont orientées, chaque mois, vers le service de soins de la prison de High Down.
En Belgique, les délais pour accéder à une consultation psychologique peuvent aller jusqu’à neuf mois dans certains établissements pénitentiaires.

Les soins sont généralement limités au strict minimum. Les mécanismes nationaux de prévention de la torture (MNP) de plusieurs pays pointent le manque de soins adaptés. Les traitements médicamenteux sont majoritairement privilégiés.
En Italie, le personnel pénitentiaire dénonce le recours excessif à la médication comme palliatif à la détresse psychologique. Près de 28 % des détenus faisant l’objet d’un traitement se voient administrer des psychotropes.
En Belgique, les médecins de plusieurs annexes psychiatriques augmentent le dosage des traitements médicamenteux des patients détenus en temps de grève du personnel pénitentiaire.

Les Pays-Bas font exception : leur système de soins en prison est salué par le CPT. Chaque établissement pénitentiaire dispose d’”unités de soins supplémentaires” (Extra Zorgvoorziening, EZV). Les personnes détenues souffrant d’un trouble psychique et jugées particulièrement vulnérables peuvent y être placées. Les règles de détention en EZV sont similaires à celles de la détention ordinaire. Un plan de traitement individuel est établi à l’entrée en unité et les patients-détenus ont accès à de nombreuses activités et thérapies. Les locaux sont décorés, des activités spécifiques sont proposées et les détenus passent un temps réduit en cellule. Chacun d’entre eux se voit attribuer un agent pénitentiaire dit “superviseur“. Les personnels affectés dans cette partie de la prison sont spécifiquement formés. Ils travaillent en coopération avec des psychologues et des travailleurs sociaux. Le CPT considère ces unités très satisfaisantes. Elles peuvent, selon lui, servir de modèle pour les autres pays.

Une personne détenue souffrant de troubles psychiques doit, en principe, être transférée en hôpital psychiatrique général dès lors que la prison ne peut répondre à ses besoins. Cet accueil reste majoritairement timide.

En Allemagne, la majorité des hôpitaux psychiatriques généraux de Rhénanie-du-Nord-Westphalie et de Rhénanie-Palatinat refusent d’accueillir des patients détenus. Les personnels hospitaliers déclarent craindre pour leur sécurité et s’inquiéter du danger que ces personnes représentent. En Espagne, le gouvernement reconnaît la réticence des autorités à effectuer des transferts de la prison vers l’hôpital psychiatrique : seules 2 % des personnes détenues le sont alors que 30 % d’entre elles répondent aux critères de transfert.

Le séjour des personnes détenues en hôpital psychiatrique est relativement court. En France, il est de deux ou trois jours. Une psychiatre témoigne : “les soignants gardent [les personnes détenues] 24 ou 48 heures et les renvoient tout de suite, parfois très sédaté[e]s, avec une ordonnance très longue. Quand les personnes reviennent en prison, elles ressentent souvent les effets secondaires des traitements, que l’on n’a pas pris le temps de leur expliquer à l’hôpital. Alors forcément, elles arrêtent de les prendre.” La CEDH condamne en 2012 la France pour la discontinuité des soins provoquée par les allers-retours récurrents entre prison et hôpital psychiatrique des personnes détenues.

Que ce soit en prison, en hôpital psychiatrique ou en établissement dédié, le recours à l’isolement est extrêmement fréquent pour les personnes qui souffrent de troubles psychiques.

Les personnes détenues en état de crise psychique sont placées, dans la majorité des États, en cellule d’isolement en attendant leur transfert en hôpital psychiatrique. Les délais de transfert sont longs, par manque de places. En Angleterre, les personnes détenues peuvent attendre jusqu’à quatre mois.

En Belgique, les personnes placées en annexe psychiatrique peuvent se voir imposer une mesure d’isolement disciplinaire. Le CPT “émet de sérieuses réserves quant à l’utilisation de l’isolement à titre de sanction disciplinaire à l’encontre de personnes présentant des troubles psychiatriques”. Le MNP français rapporte, en 2019, que les personnes détenues sont presque systématiquement placées en isolement ”alors que leur état clinique ne le justifie pas” et ce pendant tout leur séjour en hôpital psychiatrique. La mesure dure au minimum deux fois plus longtemps que pour les autres patients.
En Angleterre, le personnel de santé a régulièrement recours à l’isolement de longue durée lorsque la personne présente un “danger grave” pour les surveillants et les autres patients.  Les relations sociales sont réduites au minimum et les patients ne sortent de leur chambre que quelques heures par jour. Pour certaines, ce n’est que 30 minutes tous les deux jours. Le placement peut pourtant durer plusieurs années.

De nombreuses études soulignent pourtant les effets dévastateurs de l’isolement sur la santé mentale. Le manque de relations sociales, les cellules exiguës ou encore la rareté des sorties fragilisent la santé psychique. L’Organisation des Nations unies (ONU) décrit l’isolement forcé comme un traitement “cruel, inhumain ou dégradant lorsqu‘il est utilisé comme une sanction”.

De nombreuses femmes autrices d’infractions souffrent de troubles psychiques. Elles rencontrent des difficultés importantes à accéder à des soins dédiés. Cette discrimination est en totale opposition à la Convention internationale des droits des personnes handicapées (CIDPH) pourtant ratifiée par les huit États présents dans cette analyse.
En Belgique, l’accès aux annexes psychiatriques leur est refusé. Les femmes attendent en détention ordinaire leur expertise psychiatrique avant d’être déclarées pénalement responsables ou non. Les femmes reconnues pénalement irresponsables sont les seules à avoir accès aux unité dédiées.
En France, seulement deux SMPR sur 26, à Rennes et à Fleury-Mérogis, acceptent de prendre en charge des femmes.
En Espagne, elles sont placées, dans la prison catalane de Wad-Ras, en unité polyvalente. Elles n’y suivent aucun traitement. Les agents pénitentiaires affectés ne suivent aucune formation spécifique quant à la prise en charge des troubles psychiques. Le CPT considère l’unité inappropriée pour accueillir ces femmes.