La peine de mort, une torture qui ne dit pas son nom ?

L’application de la peine de mort est un processus long, générant des souffrances physiques et mentales à chacune de ses étapes pour les personnes condamnées comme pour leurs proches. Ces souffrances viennent remettre en cause la légitimité de cette peine. Elle a ainsi déjà été reconnue comme une forme de torture aux différents stades de son application dans de nombreuses jurisprudences nationales, régionales et internationales.

Au moment de la condamnation, la peine de mort est considérée comme relevant de la torture lorsque les garanties d’un procès équitable ne sont pas respectées, notamment dans les cas où la condamnation résulte d’aveux obtenus sous la contrainte ou la torture. Le droit international va jusqu’à interdire explicitement l’application de la peine capitale à différents groupes d’êtres humains perçus comme particulièrement vulnérables, tels que les mineur·es, les femmes enceintes ou les personnes qui présentent un grave handicap psychosocial ou intellectuel qui les empêche de se défendre effectivement.

Pendant la détention, les personnes condamnées à mort sont confrontées au “syndrome du couloir de la mort”, une autre forme de torture provoquée par l’attente longue et angoissante, l’isolement, la réduction drastique des contacts humains et même les conditions physiques de détention. Les personnes condamnées à mort peuvent connaître des conditions de détention très différentes, en fonction de leur lieu d’incarcération, qu’elles fassent l’objet d’un régime pénitentiaire spécifique ou qu’elles soient placées avec le reste de la population carcérale. Toutes sont néanmoins particulièrement exposées à des traitements considérés incompatibles avec l’interdit de la torture.

Enfin, l’exécution elle-même peut être qualifiée de forme de torture. Aucun État ne peut garantir l’existence d’une méthode d’exécution sans douleur. De nombreuses méthodes - asphyxie au gaz et hypoxie induite, lapidation, pendaison, peloton d’exécution, injection létale, décapitation - ont d’ailleurs été condamnées dans des jurisprudences internationales et régionales comme pouvant constituer des traitement cruels et dégradants et être contraires à l’interdiction absolue de la torture. Pour autant, on déplore encore, en 2022, au moins 638 personnes décédées à la suite d’une pendaison ; au moins 28 personnes tuées par balle ; la mort d’au moins 21 personnes provoquée par une injection létale ; et 196 personnes exécutées par décapitation.

Il serait en outre erroné de penser que les personnes condamnées à mort sont les seules victimes de ces actes de torture. Le fait de ne pas informer leurs familles de la date prévue de l’exécution et qu’elles n’aient pas la possibilité de faire leurs adieux relève d’un traitement inhumain. De nombreuses familles de personnes exécutées, en plus de subir la douleur inhérente au décès de leur proche, sont victimes de souffrances causées par le secret qui caractérise de nombreuses exécutions. Le refus de restituer à la famille le corps de la personne exécutée viole également la prohibition de la torture.

L’interdiction de la peine de mort a connu une évolution significative ces dernières années. L’application de cette peine, autrefois largement tolérée, a progressivement été restreinte : plus des deux tiers des pays l’ont abolie en droit et en pratique. L’appréhension de la peine de mort a ainsi évolué par la progression de l’interdiction des châtiments corporels, par la reconnaissance au niveau national et régional de la violation de l’interdit de la torture, et par l’émergence d’une nouvelle coutume internationale.

Si la communauté internationale décide que les châtiments corporels constituent en soi des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, même lorsqu’ils sont des sanctions légales, il n’y a aucune raison de ne pas considérer la peine de mort de la même manière. Elle peut en effet être considérée comme la pire forme de châtiments corporels. Il y a ainsi une incohérence évidente à considérer la décapitation différemment d’un châtiment corporel, tel que l’amputation d’un membre. La peine de mort en elle-même devrait être considérée comme une forme de torture en toutes circonstances.

L’interdit de la torture est une norme impérative du droit international (jus cogens), censée être reconnue par tous les États et à laquelle aucune dérogation n’est possible. La peine de mort reste tolérée en droit international, mais uniquement dans la mesure où elle est imposée pour les crimes les plus graves, en respectant certaines garanties procédurales et appliquée de manière à causer le moins de souffrance possible. La FIACAT s’est donc engagée dans un plaidoyer accru pour faire reconnaître le lien intrinsèque entre torture et peine de mort et obtenir l’interdiction du recours à la peine capitale en toutes circonstances.

Le fait d’avoir déjà consacré la 20ème Journée mondiale contre la peine de mort, le 10 octobre 2022, à cette thématique nous a permis en l’espace d’une année d’obtenir des résultats positifs. Des instances internationales (Nations unies) et régionales (Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples) se sont saisies de cette question. Ce travail fait évoluer positivement la soft law ¹ avec de nouvelles résolutions, jurisprudences et rapports.

Il s’agit d’un processus graduel. Il nous semble important de compiler et d’étudier tous les développements en ce sens afin d’identifier l’émergence d’une tendance internationale, et donc d’une norme coutumière interdisant le recours à la peine capitale en toutes circonstances. C’est à nous, société civile, d’avoir une position audacieuse en faveur de l’abolition universelle de la peine de mort.