Me retrouver plongée dans la clarté et les couleurs, m’égarer au milieu des lumières… ce serait une joie.
Il fut un temps où l’éclat des lampadaires, les stroboscopes étourdissants suspendus au-dessus de la piste de danse et l’explosion lumineuse des néons étaient mon quotidien ; ils emplissaient mes nuits d’une lumière artificielle qui nimbait les rues de doré et de couleurs chatoyantes ; j’étais sous l’emprise de tous ces frissons éclatants.
Les pancartes et les enseignes, simples parterres. Les défilés de mode et les bouquets de fleurs, des enfants en train de jouer. Les coursiers en vestes réfléchissantes et les commerçants qui boivent leur thé, les femmes qui préparent le repas et le soleil qui surgit de derrière les nuages ; tout cela, et plus encore, m’appartenait ; maintenant toutes ces choses me semblent comme la mer au loin, que l’on entend sans jamais la voir.
Je suis depuis si longtemps tenue à l’écart, depuis si longtemps on m’a bandé les yeux. Derrière des murs beiges, sous des lampes LED, enfermée dans une cellule immaculée, je suis devenue un mâle, et lorsque je quitte ce lieu, la lumière du jour me brûle les yeux. Je vois tout en gris, il ne reste que des ombres.
Jour après jour, tout est immuable. Les gens changent à peine.
Il est rare qu’un oiseau vienne se poser sur la corniche de pierre sous ma fenêtre, ou dans l’herbe qui se meurt en contrebas. Jamais je ne vois de fleur s’ouvrir, ni ne reçois de goutte de pluie sur mes cheveux, mais toujours, dans une quête désespérée de grâce même la plus quelconque, mes yeux scrutent le monde alentour, les visages des étrangers que je croise, à la recherche d’un éclat de beauté, d’une esquisse de sourire, et toujours, je suis déçue.
Les murs, les portes, les sols, les visages sont gris. Les peaux, les murs sont beiges. Nos uniformes sont verts, les leurs sont bleu marine.
Voilà tout ce que je vois.
Voilà tout ce qu’il y a à voir.
Voilà tout ce qui m’est laissé.