ST. La prison peut être appréhendée sous plusieurs aspects. Ces deux auteurs nous aident, par la littérature, à comprendre la prison et comment elle s’insère dans nos sociétés. Aujourd’hui encore, quand on est passé par la prison, on n’a pas le droit d’être pardonné et de revenir dans la société civile. Notre monde a besoin de ce que Genet dit. Il est nécessaire de lire des phrases comme “les bagnards sont sacrés”, de pouvoir transformer ces gens-là en fleurs. La lecture de Genet nous invite à changer de regard, à briser beaucoup de nos certitudes. Il nous montre qu’en 1930, la société n’était pas unanimement d’accord avec le fait de mettre en prison des jeunes enfants.
GA. Patti Smith et Jean Genet sont des rebelles qui s’assument comme tels. Ils n’ont jamais renoncé à la plus haute forme de liberté qui est leur capacité à créer leur propre vie. La fuite de leur lieu de vie leur permet de commencer à poursuivre leur envie de création. Ce désir de liberté est une leçon de poésie pour nous. Elle se traduit par une extrême sensibilité aux mots et à une parole dite, performante, active, dans un contexte littéraire mais qui ne réduit pas à le servir. Elle devient acte politique, artistique et créateur de vie car elle est faite d’un travail constant qui trouve de multiples expressions, comme écrire un livre, élever un enfant ou chanter une musique.
La poésie est le monde, en tout cas, une manière singulière de voir le monde. Aussi bien une fleur, pour Genet, que des pierres de Saint Laurent, pour Patti Smith. Ils nous montrent que si on est libre (dans le sens presque spirituel) on peut créer sa propre vie, qu’importe le lieu d’où on part.
ST. En effet, on n’observe aucun jugement moral ou social chez Jean Genet ou Patti Smith. Les gens ne sont jamais considérés comme des criminels, des délinquants, des gens qui ne méritent pas l’attention. Genet sacralise les détenus, les criminels et les condamnés à mort, en ce qu’ils méritent : la dignité et le respect. Le simple fait d’écrire sur des personnes qu’on tend à faire disparaître permet de leur donner corps et de montrer que leurs expériences de vie sont tout aussi enrichissantes et considérables que n’importe quelle autre. Patti Smith et Jean Genet montrent justement qu’il y a un intérêt, une beauté et une poésie dans ce qu’on ne veut pas voir, dans ce qu’on rejette, dans ce qu’on dénigre. Ils aident à penser à un monde, profondément, sans marge. La marge est créée par des normes artificielles et la lecture de ces auteurs nous fait nous rendre compte à quel point notre regard sur le monde est étanche, cloisonné, issu d’une création politique, d’une société bourgeoise et capitaliste. Jean Genet et Patti Smith n’écrivent jamais contre quelque chose, ils orientent leur vie et leur acte de création vers ce qui les touche, ce qui les anime, ce qui leur semble sacré. Cela se reflète d’ailleurs dans les deux grands combats politiques de Genet à partir des années 1970, qui sont la défense des Noirs Américains, notamment la campagne de George Jackson et Angela Davis, et la défense des Palestiniens. Genet se positionne en soutien à deux populations dont on considère que la vie vaut moins, dont on nie le droit d’exister. Le regard empathique que Jean Genet et Patti Smith posent sur le monde et sur les êtres vivants permet donc d’abolir toute forme de marginalité et de réfléchir sur la prison et notre société.