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Interview

Népal  : "des prisons dans la prison"

Un appel au secours des défenseurs des droits humains

L’histoire récente du Népal est marquée par les violations des droits humains, tout particulièrement depuis la guerre civile1. La fin du conflit n’a pas entraîné la fin des violations des droits humains. Les prisons du pays comptent 25 400 personnes détenues pour 15 400 cellules. La situation sanitaire est jugée “inhumaine” par les acteurs de la société civile, qui essaient de faire entendre leur voix. Om Prakash Sen Thakuri est directeur général d’Advocacy Forum Nepal, une organisation proposant un accompagnement juridique, médical et psychologique aux personnes détenues et victimes de crime. Advocacy Forum documente les violations des droits humains et publie des rapports sur les mauvais traitements en détention. Prison Insider lui a posé trois questions.

  1. Conflit armé entre 1996 et 2006. La violence monte encore d’un cran après l’assassinat, en 2001, de la famille royale par le prince héritier ; s’ensuit une période d’instabilité politique, économique et sociale. ↩

Les personnes détenues sont prises au piège de l’exploitation sexuelle et du travail forcé, embourbés dans la violence des gangs.

Renaud, Français incarcéré au Népal, décrit dans un témoignage le système hiérarchique des chaukidars et des naike.

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Prison Insider. Quelle est la réalité des prisons népalaises ?

Om Prakash Sen Thakuri. Du point de vue de la sécurité, la situation dans les prisons est extrêmement préoccupante. Elles sont sous la responsabilité des chaukidars [“gardiens” en népali], qui se chargent du maintien de l’ordre. Les chaukidars sont assistés par les naike et les bhai naike [“chefs” en népali]. Chaque naike est responsable de 25 à 30 prisonniers, chaque bhai naike d’une dizaine. Ces surveillants officieux sont seuls autorisés à quitter l’enceinte de l‘établissement pour acheter médicaments et nourriture, qu’ils revendent ensuite au prix fort aux autres prisonniers. Certains rapports indiquent également que des chaukidars gèrent des cercles de jeu. Un prisonnier qui ne paie pas ses dettes ou se rebelle risque la torture ; les détenus endettés sont parfois contraints de demander de l’argent à leur famille. Une part des revenus générés par les activités des chaukidars et des naike est versée aux surveillants qui, en échange, ferment les yeux sur les violations des droits humains. Les personnes détenues sont prises au piège de l’exploitation sexuelle et du travail forcé, embourbés dans la violence des gangs. Le résultat : des prisons dans la prison.

Les défenseurs et avocats des droits humains sont persona non grata en prison. Seule la Commission nationale des droits humains (National Human Rights Commission, NHRC) et les membres du bureau général du procureur, seuls autorisés à entrer dans les établissements pénitentiaires, mettent rarement cette possibilité à profit.

On relève régulièrement des morts suspectes en prison. Un établissement en particulier, le centre de détention de Morang, est tristement célèbre pour avoir connu la mort de 18 prisonniers dans des circonstances indéterminées entre juillet 2020 et novembre 2021. On a affirmé à leurs familles que ces morts étaient naturelles. Aucune enquête n’a été menée, ni par l’administration pénitentiaire, ni par la police. Cette affaire a attiré l’attention sur les mauvais traitements en prison et sur leur opacité.

PI. Outre la sécurité, quels sont les grands défis auxquels le système pénitentiaire se retrouve confronté ?

OPST. Après la série de morts suspectes au centre de détention de Morang, Advocacy Forum a pris la décision de mener sa propre enquête. Nous n’avons pas pu visiter les lieux. Il a donc fallu rassembler des preuves avec l’aide de familles de prisonniers et de journalistes pour être à même de dresser le tableau de la situation. Les conclusions de notre enquête sont alarmantes, notamment en ce qui concerne la situation sanitaire. Nous avons identifié plusieurs éléments indiquant la présence d’herpès chez un grand nombre de prisonniers. La maladie déclenche des démangeaisons et des sensations de brûlure et est liée à la très mauvaise qualité de l’eau, et la contagion est accélérée par la surpopulation. Les locaux sont conçus pour 250 prisonniers et en comptent actuellement 900. Quelque 200 d’entre eux sont contaminés. Une maladie contagieuse comme celle-ci nécessite une mise en quarantaine des malades, mais l’encellulement individuel est impossible. La situation est véritablement critique.

La prison de Morang ne fait malheureusement pas figure d’exception. Les 75 prisons du pays sont très vétustes1 et surpeuplées.

Les prisonniers souffrent de malnutrition, n’ont pas un accès suffisant à l’eau ni aux soins. Les visites de médecins sont rares, et le transfert à l’hôpital n’est autorisé que dans les cas les plus graves. De nombreux proches de prisonniers rapportent l’absence de systèmes d’assainissement et d’aération corrects. Les prisonniers doivent parfois attendre longtemps pour avoir assez de place pour dormir ou pour utiliser les sanitaires.

  1. Les prisons ont, pour l’essentiel, été bâties sous la dynastie des Rana (1846-1951). ↩

La rénovation des infrastructures pour améliorer les conditions de détention relève de la responsabilité du gouvernement.

PI. Quelles sont, selon vous, les mesures susceptibles d’améliorer la situation ?

OPST. Le gouvernement ne prête aucune attention au système pénitentiaire. Celui-ci a pourtant besoin d’être réformé, et vite. Il faut de nouvelles lois, davantage d’infrastructures modernes permettant un meilleur approvisionnement en eau, des installations dédiées aux examens médicaux, un système d’aide juridictionnelle, un accompagnement psychologique. La rénovation des infrastructures pour améliorer les conditions de détention relève de la responsabilité du gouvernement. Une plus grande transparence de la part de l’administration pénitentiaire est également nécessaire : il faut qu’elle autorise des visites plus régulières et la publication de rapports aux autorités.

Les quelques organisations humanitaires qui travaillent sur la question des prisons essaient, depuis longtemps, d’attirer l’attention sur ces problèmes, mais le gouvernement fait la sourde oreille. L’administration pénitentiaire ne se sent pas responsable et avance que le maximum possible est déjà fait. C’est un tourbillon sans fin. Les prisonniers sont oubliés et n’ont aucune possibilité d’engager quelque procédure que ce soit pour demander réparation.

Les recommandations de la Cour suprême et de la NHRC ne sont pas suivies d’effet. La NHRC a fait plus d’un millier de propositions au gouvernement : seules 10 % d’entre elles ont été mises en œuvre. Le gouvernement doit assumer la responsabilité de son inaction si l’on veut espérer réformer un jour le système pénitentiaire.

Propos recueillis par Camille Laassiri, Marion Devesa et Clothilde Reix – traduits par Jaufré Vessiller Fonfreide

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