Pays-Bas : le juste prix – prendre en charge les soins psychiatriques judiciaires

Les clichés voudraient que nous, néerlandais, ne soyons pas particulièrement généreux lorsqu’il s’agit d’argent. Cependant, les Pays-Bas ne sont pas le territoire du “chacun pour soi”. Nous sommes fiers de notre État-providence et de sa longue histoire, tout autant que de notre rôle de pionniers dans l’investissement pour et le développement de services de santé psychiatriques judiciaires.

Le Code pénal néerlandais prévoit, depuis 1928, une mesure de sûreté unique pour les infracteurs souffrant de troubles psychiques considérés comme dangereux pour la société : l’ordonnance TBS, permettant le placement en détention, sur demande du tribunal, dans un environnement médical. La durée de ce placement est “à la volonté de l’État”, terbeschikkingstelling.

L’ordonnance TBS, au cours de son histoire, a été utilisée et pour les personnes considérées comme pénalement irresponsables et pour des infracteurs dont on considère que leur responsabilité est atténuée en raison de troubles psychiques. Elle a permis à des nombreux infracteurs souffrant de troubles de la personnalité de suivre un traitement au sein d’établissements judiciaires psychiatriques de haute sécurité, avec d’autres patients souffrant de graves troubles psychiques, pour une durée indéterminée. Il a souvent été mis en avant que, ces personnes ayant été déclarées “psychiquement malades” et ayant “une responsabilité pénale atténuée”, l’État a pour responsabilité de prendre leur traitement au sérieux.

Il n’est pas rare, comme l’ont également démontré de récents travaux d’ICPR sur les condamnations, qu’une personne condamnée pour meurtre ou pour un autre crime grave ne soit condamnée à une peine relativement courte, suivie d’une ordonnance TBS prenant effet immédiatement après l’exécution de la peine, pouvant durer bien plus longtemps que la période de détention.

Après la Seconde Guerre mondiale, un vent d’humanisme et de foi en la science médicale¹ a pour effet des investissements massifs dans le système TBS. Les établissements de soins reçoivent le soutien financier du ministère de la Justice.

“Donnez-m’en les moyens, et je soignerai tous les délinquants” : une phrase célèbre de cette époque, attribuée au psychiatre Pieter Baan. De nouveaux établissements, à la pointe de la science et de la technologie, sont bâtis, et de nombreux infracteurs sont confiés aux soins de l’État. À la fin des années 1950, près de 1 500 patients y sont en traitement. Ce nombre chute à moins de 400 dans les années 1980, principalement en raison d’un changement de paradigme au cours des deux décennies précédentes, vers davantage de garanties légales contre le recours excessif à la privation de liberté.

Le ministère de la Santé prend alors en charge jusqu’à 80 % du budget, soit la proportion estimée des soins dans le coût global. Les 20 % restants, imputes à la sécurité, sont à la charge du ministère de la Justice.

Les établissements TBS accueillent régulièrement, durant cette période, des visiteurs de tous les pays, intéressés par cette prise en charge unique des infracteurs dangereux souffrant de troubles psychiques. Les Britanniques se montrent particulièrement attentifs, comme le montre de nombreux articles scientifiques évoquant qui “le TBS néerlandais, qui fait bien des envieux” (“the much-envied TBS-provision in the Netherlands“, Conor Duggan), qui “le sentiment que les Pays-Bas, sur l’autre rivage de la mer du Nord, faisaient bien mieux les choses” (“the feeling that the Dutch, just across the North Sea, were doing things so much better“, Tony Maden). L’idée de soigner, avec succès, des infracteurs dangereux atteints de troubles de la personnalité est l’un des arguments justifiant la création des unités DSPD en Angleterre², quand bien même le système, dans son ensemble, ne pourrait être adopté sans importer avec lui les dispositions correspondantes et particulières du droit pénal néerlandais.

Depuis la fin des années 1980, le durcissement des politiques pénales et la multiplication de patients multiproblématiques et souffrant d’addictions font à nouveau croître la population TBS. L’argent commence à poser problème, principalement par manque de places et en raison de l’allongement des durées de traitement.

La population TBS atteints, en 2008, un pic de 2100 personnes. Un nouveau modèle de financement est alors mis en œuvre : le ministère de la Justice prend en charge l’intégralité des soins judiciaires, y compris dans les établissements psychiatriques généraux.

Qui paie les musiciens choisit la musique : l’argument en faveur de ce nouveau système est celui du payeur-décideur. L’objectif est d’encourager au désengorgement des établissements IPS en replaçant certains de leurs patients dans des établissements de moindre sécurité, en contrepartie de quoi le ministère sera en droit de demander un renforcement des mesures de sécurité au sein des établissements psychiatriques généraux. Ce dernier point découle de quelques cas notoires de récidive, qui ont mené à l’introduction de nouvelles règles de sécurité pour l’exécution des ordonnances TBS. La durée moyenne de traitement en établissement a donc augmenté pour atteindre 10 ans. L’ordonnance TBS a perdu de son intérêt pour les personnes accusées, qui se sont mises à refuser de plus en plus, souvent sur le conseil de leur avocat, l’expertise médico-légale nécessaire au tribunal pour rendre une ordonnance TBS. Elle perd aussi de sa popularité auprès des magistrats.

Dix ans plus tard, en 2018, la population TBS a chuté à quelque 1300 personnes.

Les mutations de la politique appliquée aux patients judiciaires les rendent plus facilement identifiables, qui se retrouvent confrontés au double stigma d’être désignés comme dangereux et comme déséquilibrés.

On peut expliquer ainsi les réserves des établissements pour peines en milieu ouvert ou semi-ouvert à prendre en charge cette population. La frontière entre soins judiciaires et soins généraux semble davantage avoir glissé que disparu, contrairement aux objectifs affichés de ce changement de paradigme.

La loi sur les soins judiciaires (Wet forensische zorg) de 2019 codifie le modèle financier adopté en 2008.

La population TBS croît à nouveau, et le budget est soumis à de fortes contraintes. Les établissements TBS ont déposé des recours contre le ministère de la Justice, qui réduit petit à petit les finances. Certains chercheurs se prononcent en faveur d’une reprise en main du budget par le ministère de la Santé, craignant que les coupes budgétaires ne se multiplient si la responsabilité en reste au ministère de la Justice.

Les Pays-Bas sont une nation de négociants : l’argent est un problème, y compris lorsqu’il s’agit de la santé psychique des infracteurs.

Dans le cas du système TBS, si nous avons vraiment ce souci, il nous faut revenir à notre mentalité pragmatique, comptable.

Partager l’addition entre les ministères de la Justice et de la Santé nous permettrait de stabiliser la prise en charge des infracteurs. La société sera protégée comme il se doit, au juste coût.