GR. Les textes de Nils Christie, Louk Hulsman et Ruth Morris ne constituent pas un “bloc”. Certains se répondent, mais leurs auteur-e-s ont écrit dans des contextes nationaux divers (la Norvège, les Pays-Bas et le Canada) et des ancrages différents : un ancrage académique pour Nils Christie et Louk Hulsman ; un ancrage politique et religieux, en l’occurrence quaker, pour Ruth Morris. D’ailleurs, Nils Christie représente plutôt le courant dit du “minimalisme pénal”, alors que Louk Hulsman et Ruth Morris plaident pour l’abolition du système pénal. Nils ChristieLouk Hulsman et Ruth Morris ont néanmoins en commun de faire une critique de la catégorie de “crime”. C’est notamment l’objet du texte de Louk Hulsman qui suggère de réfléchir plutôt en termes de “situations-problèmes” car la catégorie de crime, qui est celle du droit pénal, restitue assez mal la réalité des préjudices. Louk Hulsman rappelle ainsi que les crimes n’ont pas une “réalité ontologique”, mais qu’ils sont le résultat d’une construction historique et politique et que les actes désignés comme “crimes” ne sont, par essence, ni mauvais, ni nuisibles. Louk Hulsman montre également que la catégorie de “crime” est liée à l’idée de la responsabilité individuelle, sur laquelle s’appuie l’approche punitive du système pénal.
La critique de Ruth Morris de la catégorie de “crime” s’appuie sur la distinction qu’elle fait de deux types de victimes : les victimes de violences interpersonnelles et celles d’injustices systémiques, comme le racisme ou la pauvreté. Ruth Morris pointe ici un problème majeur du système pénal : il se focalise sur les premières et il détourne notre attention des rapports de domination et des injustices qui ont un caractère structurel. Quant à Nils Christie, dans son texte “À qui appartiennent les conflits ?”, il analyse comment le système pénal, en prenant en charge le traitement des infractions, dépossède leurs auteurs et leurs victimes, mais aussi l’ensemble du corps social, de la “richesse des conflits”. Il décrit le “vol des conflits” par des “voleurs de profession” que sont notamment les avocat-e-s et les juges. Il questionne ainsi ce qui semble souvent aujourd’hui une évidence : la délégation du traitement des conflits,ou du moins de certains d’entre eux, à des professionnel-le-s.
Il y a donc chez Nils Christie, Louk Hulsman et Ruth Morris une remise en cause du sens commun autour du “crime”, mais aussi de la peine. Les trois auteur-e-s ont abondamment dénoncé les caractères afflictif et rétributif de la sanction pénale, et donc le recours à la punition. Comme le souligne Louk Hulsman, il existe une diversité des modèles de réponses (punitif, compensatoire, thérapeutique, conciliatoire, éducatif) qui peuvent être apportées à une situation-problème. En ce sens, il n’y a aucune évidence à recourir à la punition lorsqu’un préjudice a été commis.