Marc Loyon. Il y a quelques temps, nous avions déjà réalisé ensemble un projet sur les contours de la ville de Rennes et sa périphérie. L’idée était ensuite de travailler sur un lieu fermé et d’y prolonger le regard.

Delphine Dauphy. Ce travail s’inscrit dans le cadre des “Explorations urbaines” de Rennes. Son but est de questionner toutes les manières d’habiter la ville. La rencontre entre les personnes détenues et nous a permis d’interroger le regard à travers une recherche plastique et documentaire et d’utiliser la photographie comme un moyen d’expression.
Au cours des ateliers, nous avons proposé aux personnes détenues d’employer différentes approches photographiques pour élaborer un dialogue visuel entre les lieux de vie, les codes et les rythmes des lieux de détention. Les prises de vues entre les murs, des portraits mis en scène et spontanés se répondent.

ML. C’était pesant, stressant, je n’étais pas du tout à l’aise. Ce qui me stressait le plus, c’était les étapes pour accéder aux ateliers : 13 portes à passer dans la prison des hommes. Nous arrivions dans un lieu pratiquement inaccessible et je trouvais le bruit très impressionnant.

DD. Au départ, l’un de nous devait aller à la prison des hommes et l’autre à la prison des femmes. Ces deux lieux nous sont apparus si différents au niveau de l’architecture que l’on a souhaité travailler ensemble sur les deux centres, afin de mélanger les prises de vues.

ML. Le centre de détention des hommes est neuf, en béton, c’est un lieu assez froid. Il donne l’impression d’être dans une cité d’architecture plutôt fonctionnelle, comme un grand ensemble ou la moindre place à son importance, ce qui rend ce lieu très dense. À l’inverse, chez les femmes, le bâtiment date du 19ème siècle et a peu été rénové.

Les détenues nous confiaient qu’elles appréhendaient chaque année l’arrivée de l’hiver. Avec l’humidité et le froid, les conditions de détention sont difficiles.

Dans le centre de détention des femmes, il y a aussi des arbres, de la végétation, un jardin et une magnifique chapelle de la fin du 19ème siècle. Dans des lieux comme celui-là, chargé d’histoire, j’avais l’impression qu’on pouvait mieux s’y poser.

DD. La prison des hommes m’a paru assez froide, et pourtant il y a beaucoup de couleur sur les murs, on sent qu’il y a eu des efforts pour rendre l’endroit un peu plus lumineux, un peu plus coloré. Mais avec la présence du béton, on a du mal à se défaire de cette impression de froideur. Le bâtiment de la prison des femmes est très ancien, en pierre, et on ressent l’humidité à l’intérieur. Malgré tout, il paraît un peu plus chaleureux… C’est bien sûr un peu ambigu parce qu’on évoque un lieu d’enfermement avec des histoires de vies qui sont en général assez fortes et douloureuses, et qui imprègnent aussi les murs, l’architecture.

DD.. La question de l’intimité revenait très souvent dans les discussions, ou plutôt le manque voire l’absence d’intimité. Cette notion était souvent associée à la perte d’identité. Comment être soi lorsqu’on est observé, surveillé, contrôlé en permanence ? C’était particulier pour moi d’entrer dans leurs cellules, de photographier leurs objets personnels même s’ils en étaient d’accord.

En prison, les murs contiennent les regards, contraignent les mouvements. Ils impactent les corps et imposent les postures.

Les directions des établissements nous ont demandé de maintenir l’anonymat des personnes détenues photographiées, par respect pour leurs victimes et pour leur vie future à l’extérieur de la prison. Certains portraits ont été rejetés de la sélection par les participants car jugés trop reconnaissables. J’ai parfois eu le sentiment étrange, en éliminant leur visage de mon cadre, de leur enlever, moi aussi, leur identité, même si je suis bien consciente de la nécessité de l’anonymat.
Nous avions décidé de ne pas connaitre la cause de leur incarcération et d’incarner le rôle d’animateur d’ateliers photographiques sans prendre en compte leur situation de détenus. En photographiant, je me suis focalisée sur ce que les personnes étaient à ce moment là : une dame, d’un certain âge avec son t-shirt à fleur, qui adore les fleurs, la nature, qui va toucher les arbres, respirer l’odeur… C’est cela qui m’intéressait.

ML.. L’idée de travailler en photographie en prison, c’est déjà de limiter l’horizon. On rencontre des espaces assez rompus et non un prolongement du regard qui va au-delà, qui va vers l’infini comme on peut l’avoir en paysage classique. Visuellement, les espaces sont confinés et sont aussi liés à l’intimité des personnes.

Dans ces lieux, j’avais le sentiment de ne pas avoir le temps de contempler, on était vraiment dans une spontanéité du regard dans la prise de vue des espaces.

J’ai un souvenir marquant. Au vernissage, un vendredi à 16h, toute l’administration pénitentiaire était présente ainsi que beaucoup de détenus en permission spécifiquement pour venir voir l’exposition. Il y avait des anciens détenus puisque c’est un travail qui a été exposé cinq ou six mois après la fin des ateliers et des personnes avaient été libérées entre temps. Des parents de détenus étaient également présents. Il y avait beaucoup de monde, beaucoup d’échanges : on comprend tout de suite l’importance d’un vernissage dans ces cas-là.

DD. En discutant avec des personnes qui étaient intervenues en prison, pour des ateliers de théâtre ou pour des concerts, j’ai remarqué que tous parlaient de l’intensité. L’intensité des spectateurs, leurs implications dans les projets, une implication qui est très forte. Ce projet a été pour moi la découverte d’un univers très singulier. Les témoignages des détenus et l’exploration de ces lieux de détention m’ont permis d’appréhender le poids de l’enfermement et de la privation de liberté. J’ai appris sur l’âpreté de cette vie entre parenthèses où le temps est distendu. L’attente en est le maître mot. Car, même si on n’y passe que quelques demi-journées, on n’entre pas en prison avec légèreté.

Le projet a été mené avec Clothilde Vareille et Gwennaëlle Neveu du service Médiations des Champs Libres, et en étroite collaboration avec Julie Girard et Alice Guibert, coordinatrices culturelles de la Ligue de l’Enseignement.¶