Prisonniers basques : entre deux eaux

Gabriel Mouesca. Les prisonniers et prisonnières sur le sol français sont au nombre de 34 quand ils sont 199 sur le sol espagnol. Le site Etxerat donne tous les détails des chiffres, des adresses, des cartes sur leur situation en France et en Espagne. J’invite vos lecteurs à le visiter.
La question des conditions de détention touche surtout les prisonniers dans l’État espagnol. Un grand nombre d’entre eux vivent dans des conditions identiques à celles qui ont précédé le processus de paix, il y huit à neuf ans. Ils souffrent d’isolement. Ils sont dans les quartiers les plus durs du système pénitentiaire espagnol, ceux qu’on appelait les quartiers de haute sécurité (QHS) en France. C’est une question très sensible car les prisonniers, comme leurs familles et un certain nombre de citoyens du Pays basque, ne comprennent pas qu’après plus de huit ans de processus de paix, plus de huit ans d’engagement collectif et personnel des prisonniers, on en soit toujours là. Ce sont des quartiers faits pour rendre le quotidien extrêmement difficile.

Cela est d’autant moins acceptable que ces prisonniers sont, collectivement, entrés de plain pied dans le processus de paix et dans la logique de résolution du conflit au Pays basque. Dans cette phase d’appropriation, personne ne comprend que s’appliquent encore des conditions si dures.

Les opérations de rapprochement sont effectives dans l’État français, en particulier vers la prison de Mont-de-Marsan (dans les Landes) et la maison centrale de Lannemezan où se trouvent la majorité des hommes prisonniers. Il y a cependant des femmes incarcérées à Rennes et à Roanne, éloignées du Pays basque.
La question du rapprochement est loin d’être réglée au niveau de l’État espagnol : ils sont pour la plupart à des centaines de kilomètres de leurs familles. Le rapprochement effectif des hommes en France a été le produit de discussions entre des représentants du Pays basque français et du ministère de la Justice. Il faut reconnaître le travail qui a été mené et plutôt bien mené. Il faut reconnaître aussi qu’un certain nombre de prisonniers basques, en France, n’ont plus le statut de détenus particulièrement signalés (DPS) : l’évolution est conséquente aussi à ce niveau-là.

GM. Là-dessus, malheureusement, on constate une difficulté. Je ne dis pas que la solution soit simple. À ce propos, je vous invite à regarder le site Bake Bidea. C’est l’association citoyenne qui, sur le territoire français, gère le processus de paix et promeut sa logique. Dans sa récente conférence de presse, elle rapporte qu’on n’a pas évolué sur le cas des prisonniers malades ni sur celui des prisonniers qui ont purgé plus de 30 ans.

Ça n’avance pas, pour une question liée aux associations de victimes espagnoles.

Celles-ci exercent un grande pression sur le gouvernement : les prisonniers dont il est question étaient des militants du commando Argala, très actif dans les années 80. Quand je dis “très actif”, je veux dire que beaucoup de sang a coulé. Je crois que ces gens-là ont été en quelque sorte dépersonnalisés. Ils n’ont d’existence qu’au travers de leur passé, de leur appartenance à ce commando. Ils n’existent pas, ils n’arrivent pas à retrouver forme humaine au regard des associations de victimes, pour certaines estampillées d’extrême-droite.

En France, Josu Urrutikoetxea est, par exemple, un militant historique du mouvement ETA. Il est actuellement détenu [lors la rédaction de cet article, ndlr] à la prison de la Santé à Paris ¹. Un travail énorme est fait pour obtenir sa libération, en premier lieu pour des raisons médicales. Un autre volet est avancé par les gens qui le soutiennent. Cet homme, l’un des responsables majeurs du mouvement au sein de l’appareil de l’ETA, a impulsé la dynamique de paix. Il a pris des risques, y compris par rapport à sa vie. Dans un mouvement de ce type, lorsqu’au bout de 50 ans d’activités violentes, on dit : “maintenant il va falloir qu’on arrête et qu’on passe à autre chose”, tu mets ta propre vie en jeu. Cet homme-là, fort de cette responsabilité historique, est aujourd’hui incarcéré. La France est entrée dans une logique où les faiseurs de paix sont sanctionnés.

Aujourd’hui, quand on regarde les faits, on ne voit pas grand-chose qui puisse nourrir un optimisme sur le court terme. Le paysage politique n’est pas favorable à l’avancée du processus de paix. Mais je suis absolument convaincu que nous allons entrer, en Espagne également, dans une dynamique positive autour de ce processus.

Le “quand” nous ramène évidemment à la question du temps, essentielle pour beaucoup : les prisonniers en premier, leurs familles, comme une partie de la société basque et, plus largement, de la société espagnole. Il ne faut pas mettre tous les Espagnols dans le même panier : des gens sont favorables à l’idée de solder cette situation héritée du passé. Quand on parle d’évolution, c’est évidemment dans le sens d’un processus vers la paix.

Ce qui est douloureux, c’est que nous avons, de notre côté, cette pression des prisonniers et de leurs familles qui continuent à être dans la souffrance. Cela nous est insupportable. Mais quand le collectif des prisonniers basques est entré dans la logique du processus de paix, il l’a fait du même coup dans une logique d’unilatéralité. C’est un terme extrêmement émouvant. C’est la première fois dans l’histoire de l’humanité qu’un peuple et un mouvement initient ce pari-là : nous, on croit à la paix et nous entrons dans ce processus, alors que nous savons qu’en face ils n’y sont pas encore. Les prisonniers basques, au sein de leur collectif, s’y sont engagés personnellement. C’est un pari fou : il faut qu’on arrive à imposer les conditions pour que l’État espagnol rentre dans cette logique de processus de paix qui sera celle de la négociation. Nous n’en sommes pas là mais chaque jour qui passe nous en rapproche. Nous qui travaillons dans ce processus n’en doutons pas un instant. C’est un chemin qu’on a déjà parcouru en France, à la différence que les conséquences ont été bien moins meurtrières en France qu’en Espagne.

GM. Un premier point : l’attitude du Parquet national anti-terroriste (PNAT) en France est le seul maillon qui pose encore problème. Et ce problème n’est pas mineur car c’est lui qui bloque la remise en liberté des prisonniers malades et de ceux qui ont 30 ans de prison effectués. La position du PNAT a donc des conséquences très lourdes. Là aussi un travail est mené pour qu’il devienne acteur à son tour du processus de paix ; il doit comprendre qu’il y a un moment dans l’histoire où lui, l’appareil judiciaire, a les moyens d’apporter de l’eau au moulin de la paix.

Alors évidemment, les positions du Parquet peuvent évoluer. Un exemple : l’ancien secrétaire général d’Interpol, l’Anglais Raymond Kendall, a été directement acteur de la répression dans les années 90. Il est aujourd’hui acteur convaincu du processus de paix. Il a fait partie de la commission internationale qui a impulsé la dynamique de paix, avec d’autres personnalités internationales, dont Kofi Annan, ancien secrétaire général des Nations unies. Aujourd’hui, l’homme continue et s’énerve de l’attitude des États pas encore assez acteurs de ce processus. Ces engagements personnels montrent qu’il ne faut désespérer de personne.

Pour moi, l’urgence a des noms.

Josu Urrutikoetxea¹ bien sûr, mais aussi les trois “perpètes” présentes depuis plus de 30 ans dans les prisons françaises ou Ibon Fernandez, malade, à Lannemezan. Nous demandons aussi la remise en liberté d’un autre prisonnier à Lannemezan, malade et très âgé. Voilà pour moi, l’urgence “symbolique”. Il ne faut pas oublier qu’on parle de vies humaines. Il s’agit de personnes âgées pour lesquelles la question de la mort se pose. Ce serait dramatique que l’une d’entre elles meure dans les prisons françaises. Il faut le dire et le redire avec force : ce qui a été lancé il y a huit ans avec la conférence d’Aiete est irréversible. La difficulté est que cette irréversibilité doit être accompagnée de mesures qui touchent à ce qu’on appelle les conséquences du conflit : la question des prisonniers, des réfugiés, la question des victimes, de toutes les victimes. Elles doivent être traitées dans les meilleurs délais.