Mes interlocuteurs ont été libérés le 8 janvier 2021 par une grâce présidentielle. Ils clament toujours leur innocence. Grace à une plainte de l’Association africaine de défense des droits de l’homme (ASADHO), membre du réseau SOS-Torture de l’OMCT, la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples avait estimé, dans une décision de 2012, que leur procès était inéquitable et avait demandé leur libération. Sans succès. Le sentiment d’injustice dans un pays où l’arbitraire est la règle anime fréquemment les condamnés à mort.
Une fois libérés, de nombreux condamnés à mort commencent une nouvelle vie, sans repères. Ils se rendent compte que plus personne ne croyait à leur libération. Les services de l’État ne sont pas préparés pour leur réhabilitation. Lorsqu’ils ont été fonctionnaires, ils constatent qu’ils ont été rayés du fichier solde de l’État et d’autres bases de données. Ils vivent sans salaire, sans retraite et sans sécurité sociale. La condamnation à mort s’accompagne souvent de la spoliation ou de la confiscation des biens. Leurs proches sont persécutés et privés de leurs avoirs. Les familles sont dispersées, fracturées, les enfants déscolarisés et discriminés. “J’ai trouvé les enfants et les petits-enfants en débandade”, dit le lieutenant Yav. “Il faut les réunifier puisqu’ils ont vécu très souvent dispersés entre les mains d’amis et de proches. Certains ne me reconnaissent plus ou ne m’ont jamais connu. Vous revenez dans un milieu où personne ne sait qui vous êtes. Je suis en vie sans être en vie”.
Les ex-condamnés ont de nombreux problèmes de santé et doivent continuer à se prendre en charge tout seuls et sans revenu. En RDC, seules les ONGs comme l’Alliance pour l’Universalité des Droits fondamentaux (AUDF), membre du réseau SOS-Torture de l’OMCT, apportent une aide à la réhabilitation des victimes de la torture.
L’OMCT a octroyé des assistances multiformes à de telles victimes, y compris à des militaires et policiers. Nous n’avions jamais reçu de requêtes de ce type d’ex-condamnés à mort, mais voilà que mes deux interlocuteurs le font. Ils souhaitent aussi parler à un psychologue.
Le stress de l’attente constante de la mort est facile à comprendre. Mais le stress après la libération est tout aussi important. Le souvenir d’ex-camarades morts en détention augmente les difficultés de réinsertion. L’absence de réhabilitation empire les conséquences de la torture et devient elle-même une forme de torture. “La moindre des choses c’est de nous réhabiliter, si on ne nous réhabilite pas au moins qu’on nous donne de quoi vivre. Les familles se sont mobilisées pendant 20 ans pour nous soutenir. Elles se sont appauvries. Maintenant qu’on est libre on ne peut rien faire pour les aider en retour et on dépend d’elles à nouveau. On se sent inutile après sa libération. C’est quelle vie maintenant ?” dit le lieutenant Yav.