PM. Aujourd’hui, il reste quand même beaucoup de défis. La préoccupation de l’administration pénitentiaire est de pouvoir rapidement publier les textes d’application sur le statut particulier, les différentes unités ou emplois du corps paramilitaire, les uniformes et autres attributs, la création d’une ENAP, etc. Elle se concentre pour l’heure sur la mise en application concrète de ce code pénitentiaire. Nous avions accueilli l’actuel directeur de l’administration pénitentiaire en 2016, en France, à l’ENAP, pour lui présenter l’école et voir dans quelle mesure nous pouvions les aider. Il y a un vrai enjeu de formation des agents pour en faire un personnel spécifique de l’administration pénitentiaire. Jusqu’à présent, leur administration fonctionnait avec un corps général de fonctionnaires qui étaient affectés dans ces établissements et qui pouvaient, ensuite, se retrouver affectés ailleurs.
Dans mes propres écrits, notamment dans mon ouvrage sur la réinsertion sociale des personnes détenues, j’ai toujours défendu l’idée que la mission de réinsertion sociale était une responsabilité partagée. On a tendance à tenir l’administration pénitentiaire pour seule responsable, alors qu’il s’agit d’une mission collective. J’ai donc proposé la création d’une commission interministérielle de coordination des activités de réinsertion sociale et de rééducation. Elle aurait pour mission de définir et de contrôler la mise en œuvre des activités qui contribuent à la réinsertion des personnes détenues, d’éviter la récidive, d’assurer la sécurité, le respect de la société, etc. Elle définirait le contenu et les moyens de la réinsertion sociale, et en contrôlerait la mise en œuvre. La loi définitive intègre cette disposition, mais il faut maintenant lui donner un contenu. J’ai proposé une composition de cette commission assez élargie, qui s’ouvre aussi aux associations d’aide aux victimes. J’ai dû faire beaucoup de pédagogie pour qu’ils perçoivent la place qu’on peut donner à cette instance, le rôle qu’elle peut jouer pour dynamiser les politiques de réinsertion et développer des domaines d’activités. J’ai argumenté pour que cette mission intègre les autorités judiciaires et pénitentiaires, ce qui impliquait le renforcement de la commission d’application des peines et la commission de rééducation dans les établissements. Cette composition a été retenue dans le document final.
La question du régime de détention représentait elle aussi un défi. Tenant compte de la situation réelle du Congo, j’ai proposé que le régime de détention en commun soit la norme et que l’encellulement individuel soit l’exception. J’avais deux raisons pour proposer ce renversement du standard habituel. Premièrement, le bâti actuel, hérité de l’époque coloniale, ne permet pas d’imaginer des cellules individuelles. De nouveaux établissements seront construits, mais je n’étais pas convaincu qu’il y aurait la capacité de construire des établissements qui auraient pour règle l’encellulement individuel. Deuxièmement, la tradition congolaise dans les familles est la vie en collectivité. Les gens vivent ensemble, partagent leur quotidien. Il est donc réaliste, en détention, de laisser les gens vivre ensemble, à condition que l’on détermine précisément la capacité d’accueil de ces cellules en tenant compte de l’espace qui peut être occupé par chacun. Des cellules individuelles doivent néanmoins être prévues pour les cas de maladie contagieuse, de demande spécifique, de handicap, d’âge, etc.
La France, malgré des moyens plus importants que le Congo, n’a jamais réussi, depuis 1875, à garantir l’encellulement individuel dans les maisons d’arrêt. On va de moratoire en moratoire. Au Congo, cela me semblait plus réaliste d’affirmer l’encellulement collectif, qui correspond mieux à la culture et aux moyens congolais. Pourquoi s’enfermer dans une hypocrisie qui les mettrait toujours en porte à faux avec la réalité ? Mes interlocuteurs savaient très bien qu’il serait impossible de respecter le régime individuel, ni à court ni à moyen termes. Le régime de détention en commun a donc été retenu par les parlementaires.
Enfin, j’ai défendu l’idée que, dans un pays de culture orale comme le Congo, où la palabre a une place importante, l’administration pénitentiaire devait s’obliger, en cas de d’infractions disciplinaires, à examiner la possibilité d’une médiation avant d’envisager des sanctions disciplinaires. En France, à l’ENAP, nous développons cela depuis un an. Nous avons créé des formations à la médiation en contexte professionnel. Ces médiations permettent la régulation des conflits avant d’en arriver à la violence. J’ai défendu cette idée, qui est restée dans la loi. La partie réglementaire a été un peu plus explicite quant à la mise en œuvre de ces mesures de médiation. Il est également précisé que les médiateurs doivent être formés. Je pense que, là aussi, si le Congo se donnait les moyens de mettre en œuvre cette pratique, on pourrait apaiser les tensions sans devoir autant recourir à la sanction disciplinaire, qui en réalité, augmente encore la conflictualité entre les personnes détenues.