République du Congo : penser un autre avenir

Christian Loubassou. L’ACAT Congo a le droit de visiter tous les lieux de détention du pays. Nous fournissons une assistance humanitaire à l’ensemble des personnes détenues via la distribution de produits de première nécessité. Nous menons également une mission de lutte contre la détention préventive abusive. Lorsque nous visitions un lieu de détention, nous auditionnons, dans un premier temps, l’ensemble des personnes détenues. Nous identifions ensuite celles qui sont en détention préventive abusive et organisons, grâce aux avocats référents commis à cette tâche, le suivi des dossiers des personnes identifiées.

Nos visites de monitoring nous permettent de dresser plusieurs constats. Déjà, la plupart des maisons d’arrêts sont généralement surpeuplées et présentent un taux élevé de personnes en détention préventive. Ces dernières sont, dans ces établissements, systématiquement plus nombreuses que les personnes condamnées. Dans ce contexte, l’ACAT Congo mène un projet de lutte contre la détention préventive abusive. L’objectif est que l’ensemble des personnes incarcérées puissent être jugées. En 2021, plus de 106 décisions de justice ont ainsi pu être obtenues.

Notre deuxième constat concerne les conditions de détention, qui sont tout à fait inacceptables. La nourriture est insuffisante, la promiscuité très importante et les soins médicaux quasiment inexistants. Dans notre pays, les personnes détenues malades sont abandonnées à leur sort et contraintes de se soigner avec les moyens du bord.

CL. Les commissariats et les brigades de gendarmerie sont remplis de personnes soupçonnées d’avoir commis une infraction, dont les dossiers tardent à être traités par les officiers de police judiciaire. La plupart des personnes que nous avons auditionnées sont maintenues dans les commissariats au-delà du délai légal de la garde à vue. Notre code de procédure judiciaire prévoit qu’elle ne peut excéder 72 heures, délai qui peut être prolongé de 48 heures par le procureur de la République. En pratique, les dossiers trainent souvent à être transmis et s’accumulent. Cela a pour conséquence la surpopulation des commissariats et des brigades de gendarmerie.

Nous attribuons cette situation à plusieurs facteurs. Les officiers de police judiciaire méconnaissent bien souvent les dispositions encadrant la garde à vue et ne sont pas inquiétés lorsqu’ils ne les respectent pas. Les commissariats et brigades de gendarmerie ne font par ailleurs l’objet d’aucun contrôle de la part du procureur de la République ou de l’inspection générale de la police.

Les jeunes en conflit avec la loi font face à des difficultés supplémentaires. Ils sont très souvent interpellés par la police en lien avec des affaires de banditisme et font l’objet d’une surreprésentation dans les commissariats. Les mineurs, compte tenu de leur âge, sont soumis à des procédures spécifiques, encore plus dysfonctionnelles que celles prévues pour les adultes. Elles sont inexistantes ou très lentes. Une action devrait donc être menée en faveur des jeunes sur cette question.

CL. Différents leviers nous semblent pertinents pour parvenir à un meilleur respect des droits. Il est, tout d’abord, essentiel de vulgariser les textes juridiques existants sur les droits des personnes détenues. Nous devons ainsi rendre le Code pénitentiaire et le Code de procédure pénale plus accessibles au personnel pénitentiaire et judiciaire ainsi qu’aux forces de l’ordre. Il est également nécessaire d’encourager le contrôle des commissariats, des cabinets d’instruction et des établissements pénitentiaires. Nous serons alors en mesure de mieux identifier les violations et leurs auteurs pourront plus facilement être sanctionnés ou contraints de rectifier le tir.

Il faut davantage demander au gouvernement de s’appuyer sur les ONG pour contrôler les lieux de privation de liberté tels que les postes de sécurité publique et les établissements pénitentiaires. Les jeunes, entre autres, doivent être plus aidés et accompagnés, notamment par nos avocats référents. L’objectif serait de pouvoir établir un suivi et avoir des informations sur les dossiers de tous ceux qui sont en détention préventive, notamment ceux qui n’ont pas eu accès à un avocat.

Nous continuons également à encourager la mise en place d’un mécanisme national de prévention de la torture par le gouvernement. Le Congo a signé mais pas encore ratifié le Protocole facultatif à la Convention contre la torture des Nations unies (OPCAT) prévoyant la mise en place d’un tel mécanisme. Le président de la République a promulgué les instruments de la ratification de ce protocole, mais leur déposition devant le secrétariat des Nations unies tarde. Nous estimons qu’un tel mécanisme permettra d’effectuer plus facilement des visites de contrôle dans les différents lieux de détention : établissements de la police de la sécurité publique, commissariats et maisons d’arrêts.

Enfin, il y a la question des réformes. La révision du Code pénal, lancée en 2008, n’est toujours pas aboutie. Le Code pénitentiaire a été promulgué il y a peu mais peine à être appliqué car il impose la mise en place de nombreux dispositifs. Il y a certes des évolutions mais celles-ci ne sont pas encore réellement perceptibles. L’impunité persiste. Si les violations des droits des personnes détenues et leurs besoins sont désormais identifiées, il manque encore un mécanisme qui permettrait un contrôle renforcé des lieux de détention dans notre pays.