J’avais 23 ans la première fois que je suis tombé, puis ça a été une succession de petites, moyennes peines, entre six mois et trois ans. Au total, je cumule une petite dizaine d’années de prison. Je me souviens très bien de mon premier parloir. C’était avec mon père, et ça a été compliqué. Il m’a dit bonjour en arrivant, et ensuite il s’est retourné, parce que c’était trop dur pour lui de me regarder, donc j’ai vu son dos pendant 40 minutes. Ça a été un choc pour lui beaucoup plus que pour moi.
Ensuite des parloirs, j’en ai toujours eu, sauf quand j’étais incarcéré à Fresnes, où je préférais ne pas en avoir pour éviter que ma famille ait trop de déplacements à faire. C’était loin, financièrement c’était pas évident. Et quelque part, je me sentais presque plus libre. De pas attendre ce moment, de pas me faire de souci quant à leur retour, sur la route. Tout ça c’est un stress qui vient se greffer en plus des soucis judiciaires.
Le parloir dure 40 minutes, mais je savais que ça leur prenait au moins deux heures avant et pareil après, le temps de la route, de la fouille, de l’attente. Donc 40 minutes, c’est concentré et on essaie de ne pas les inquiéter, qu’ils ne ressentent pas notre mal-être. C’est des sourires de façades, même si ce moment de parloir est crucial. C’est ce qui fait que la réinsertion peut exister. En même temps, c’est tellement rapide qu’on ne peut pas aborder des sujets profonds.
Mon fils avait 12 ans lors de ma dernière incarcération. C’était pendant son adolescence, et en deux ans et demi il avait changé, sa voix avait mué, c’était plus le petit garçon que j’avais laissé en rentrant, et j’ai eu du mal à accepter ce trou de deux ans et demi.
Toutes les conséquences pour les proches, on s’en rend compte une fois qu’on est au pied du mur. Quand on arrive au parloir.
Là, on est en face de nos responsabilités, et si on se met à y réfléchir ça fait mal, parce que ça fait mal de se juger de manière négative, de se dire qu’on est égoïste. On s’empêche d’y penser pour pas avoir à renoncer à cette vie un peu marginale qu’on a parfois choisie. Je le regrette aujourd’hui, mais les regrets n’effacent pas la peine qu’on a pu faire ni les problèmes qu’on a pu causer.