NS. Le système carcéral, c’est très obscur, très secret. Ils ne veulent surtout pas qu’on sache ce qu’il se passe. Jusque dans les années 80, il n’existait aucun système de réclamation écrite en prison. Il fallait faire une demande au département de l’Intérieur, et ces demandes étaient toujours refusées : il était impossible d’avoir accès au monde extérieur. La seule façon pour les prisonniers de communiquer était de monter sur les toits et de déployer des banderoles, comme à Strangeways. Il y avait des gens qui mouraient, là-bas. Le taux d’homicide au sein du système carcéral a fini par être sept fois plus haut qu’à l’extérieur, et pas question pour les instances officielles que qui que ce soit ait accès aux rapports. On accepte que les prisonniers reçoivent des lettres et des visites des membres de leur famille… et encore, le courrier est contrôlé et censuré, les appels mis sur écoute et enregistrés. La police détache des agents de liaison dans les prisons. Leur boulot, c’est juste d’écouter les enregistrements des appels des prisonniers. Pour être entendu à l’extérieur, il faut y aller à fond, sinon, personne ne connaîtra la vérité.
Une des idées qui sont apparues au moment de la mutinerie de Strangeways, c’est celle d’un journal national pour les prisonniers. Un journal dans lequel ils pourraient écrire et demander des comptes, une plate-forme d’information qui ferait entendre leurs voix. Ils écriraient des lettres et raconteraient leur existence, en bien comme en mal. C’est une façon comme une autre de ne pas avoir à se dire que la seule façon de se faire entendre, c’est de grimper sur un toit ou de prendre un surveillant en otage. On voulait quelque chose qui remplace ce genre d’actions.
Et c’est en prison qu’est né Inside Time. C’est moi qui ai écrit l’une des premières lettres. Je n’aurais jamais pensé qu’elle serait publiée. Mais je m’étais trompé : et désormais, nous avions une voix qui portait à l’extérieur.
Inside Time a grandi au fil des ans. À l’origine, c’était trimestriel, et sur six à huit pages. Aujourd’hui, c’est un mensuel, et chaque numéro fait à peu près 60 pages. Il circule partout dans le monde, alors qu’il n’y a pas eu de campagne de diffusion. L’Intérieur pourrait le faire interdire sans problème mais, par chance, il ne l’a jamais fait. Tous ceux qui sont enfermés peuvent écrire et, si c’est pertinent, ça atteindra l’extérieur. Tout le monde peut le lire, il est diffusé à l’étranger, à des prisonniers d’autres pays, à des juges, à une foule d’avocats de toutes sortes, aux familles de prisonniers, et on le retrouve même dans des parloirs pour que les visiteurs puissent les lire et se faire un aperçu de la vie en prison.
Ça a permis de grandes évolutions. Il y a trente ans, on n’avait rien d’approchant. Il reste très compliqué, pour les prisonniers, de parler à la presse, d’avoir droit à un appel avec où à une visite d’un journaliste. Quand j’étais en prison, on me l’a très souvent refusé. Mais maintenant, au moins, il y a un endroit où écrire, où votre problème sera publié, et où on ne vous jugera pas dessus. On a beaucoup de contributions de délinquants sexuels. On se moque de savoir qui écrit. S’ils sont en prison, ils sont nos égaux, pour ce qu’on a à en dire. Ils ont le droit d’avoir des griefs, de les exprimer, de raconter leurs histoires. Il y a même qui sont reconnaissant vis-à-vis de la prison, des cours qu’ils suivent et apprécient. À part Inside Time, il n’y a pas beaucoup de voies vers l’extérieur pour les prisonniers.