Vadym Chovgan. La grâce présidentielle a été accordée à 363 prisonniers déjà entraînés au combat : ils doivent rejoindre le front et combattre l’occupant. Les prisonniers condamnés à perpétuité ne sont apparemment pas éligibles, et ce même si, d’après la loi, ils devraient l’être. La question est controversée. On pourrait faire sortir bien plus de monde, tout particulièrement les personnes en unité de réinsertion, qui sont autorisées à sortir en journée et doivent revenir le soir. Mais elles sont requises comme main d’œuvre : il faut trouver l’équilibre.
Un grand nombre de personnes demandent par ailleurs une libération conditionnelle, mais la situation actuelle et les problèmes de corruption perturbent le fonctionnement des tribunaux. Tout prend bien plus de temps qu’à l’habitude. Les évacuations n’ont pas commencé aux premiers jours de la guerre. Elles ont pris du retard et n’ont commencé qu’il y a peu. Le ministre de la Justice a déclaré dans une interview récente que, lors d’une évacuation, les prisonniers ne sont pas les premiers auxquels on pense, et que la population générale devait être évacuée d’abord. Cette déclaration ne prend pas en compte un fait simple : les prisonniers, eux, ne peuvent partir par leurs propres moyens.
Le ministère de la Justice a également expliqué les retards dans ces procédures d’évacuation par l’impossibilité de prévoir les régions qui seraient attaquées. Les évacuations et transferts font l’objet d’une réglementation spécifique et s’effectuent en principe par voie ferroviaire, ce qui a compliqué leur mise en œuvre. Ce problème des procédures de transfert n’est pas nouveau, et la guerre vient l’accentuer. Le réseau ferroviaire traverse un certain nombre de maisons d’arrêt, et la coordination est très compliquée. Avec des bus, par exemple, ce serait plus simple.
Oleg Tsvilyi. L’évacuation du complexe n° 88, à Tokmak, dans la région de Zaporijjia, a donné lieu à un incident il y a peu. Les prisonniers ont été transférés au complexe n° 6, dans la région de Kirovohrad. À leur arrivée, ils ont subi en masse des passages à tabac ; les responsables étaient, semble-t-il, des membres de la Garde nationale de l’Ukraine. Une enquête a été ouverte et certains éléments indiqueraient que les autorités pénitentiaires ont également été impliquées. Des photos de l’incident ont été abondamment diffusées. Les prisonniers ayant déposé une plainte auraient été contraints de la retirer ; ceux qui ont refusé ont été transférés vers la région la plus proche de la ligne de front, Mykolaïv.
Vadym Chovgan. Le Conseil de la Société civile du ministère de la Justice a évoqué la nécessité de donner des instructions claires sur la procédure à suivre par l’administration pénitentiaire en cas de bombardement. Faut-il libérer les prisonniers ou les garder en prison, quels que soient les risques ? Quelles doivent être les conséquences d’une évasion ? Pour moi, un prisonnier qui s’évade dans une telle situation ne devrait pas être sanctionné, et les règlements devraient le préciser explicitement. La notion de “défense nécessaire” présente dans un article du Code pénal dispose déjà que la défense d’un intérêt supérieur peut entraîner la commission d’une infraction pénale qui ne serait alors pas considérée comme telle. Cet article, dans la situation actuelle, devrait s’appliquer, et les prisonniers devraient en être informés. À l’heure actuelle, une seule chose est légalisée par l’état de guerre : tuer des soldats russes.
Si un prisonnier ne regagne pas le centre de réinsertion le soir, même pendant un bombardement, on considère qu’il s’agit d’une évasion. Ça ne devrait pas ! Il est donc indispensable d’indiquer clairement dans quelles situations l’évasion est légitime et légale, tout particulièrement pour les prisonniers placés en centre de réinsertion. Des lois et règlements d’urgence doivent être créées et ne le sont pas : le ministère ne veut pas assumer la responsabilité de la libération de prisonniers, l’administration pénitentiaire ne veut pas assumer la responsabilité sur le terrain. Même au sein des territoires sous contrôle ukrainien, les prisons sont laissées pour compte, à un tel point que l’administration générale de la région de Kherson a fini par demander au secrétariat du Président : “Comment vous imaginez-vous que nous puissions fonctionner sous occupation et sans moyens ?”