Explorer
L'emprisonnement perpétuel
EN 1981, au plus fort du débat sur l’abolition de la peine de mort en France, le philosophe Michel Foucault prenait une position prémonitoire : “La véritable ligne de partage entre les systèmes pénaux ne passe pas entre ceux qui incluent la peine de mort et les autres, elle passe entre ceux qui admettent les peines définitives et ceux qui les excluent”.
Définitive la peine de mort ? Assurément. Définitive la prison à perpétuité ? Pas forcément. Comme l’explique l’ancien Contrôleur général des lieux de privation de liberté, Jean-Marie Delarue, “la perpétuité c’est une condamnation pour toujours, mais ça ne signifie pas que l’exécution de la peine va durer jusqu’au restant des jours du condamné” (lire notre entretien). En effet, dans les lois pénales des pays signataires de la Convention européenne des droits de l’homme, le condamné à perpétuité doit pouvoir demander un aménagement de sa peine et espérer sortir un jour. Or, depuis une quarantaine d’années, de nombreux pays, dont la France, recourent de plus en plus massivement à la prison à perpétuité et ont rendu, par des lois successives, plus effective l’exécution de cette peine terrible, dont Larbi Belaïd a fait la douloureuse expérience (lire son parcours de vie).
En Europe, seule une demi-douzaine de pays ne prévoient pas de peine perpétuelle dans leur code pénal. Parmi les peuples qui ignorent la perpétuité, les Norvégiens disposent du système pénal le moins sévère du monde. “S’ils ont bien perçu la dimension inutile de très longues peines, c’est qu’ils ne sont pas accrochés à la gravité du crime mais qu’ils sont attachés aux chances que le détenu a de se réinsérer”, explique Jean-Marie Delarue.
Mais la Norvège fait figure d’exception dans un monde où de nombreux pays lorgnent vers la perpétuité réelle et incompressible. Dans ce domaine, les États-Unis jouent un rôle phare avec plus de 30 000 détenus condamnés à rester en prison jusqu’à leur dernier souffle, dont 2 500 mineurs. Comment expliquer cette violence institutionnelle ? Pour Jonathan Simon, professeur de droit à l’université de Berkeley en Californie (lire son interview) “c’est l’expression de la peur présente dans notre société, la même qui a contribué à faire naître l’ère de l’incarcération massive”. D’autres pays du continent américain, comme le Honduras par exemple, se dirigent par étapes vers l’introduction de la perpétuité effective dans leur législation (voir l’article de R.A Gomez).
Les témoignages de deux détenus italiens, Carmelo Musumeci (voir le reportage vidéo) et Marcello Dell’Anna (lire sa lettre), condamnés l’un et l’autre à la prison perpétuelle effective, il y a plus de 20 ans, expriment l’inhumanité et l’absurdité des très longues peines et, a fortiori, de celle dont le détenu ne peut apercevoir le terme.
France
Histoire brève par Pome Bernos¶
Depuis le code pénal de 1791 jusqu’à nos jours, les dates clés de la perpetuité.
Jean-Marie Delarue
Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté de 2008 à 2014
Jean-Marie Delarue a été, de 2008 à 2014, le premier Contrôleur des Lieux de Privation de Liberté (site officiel du CGLPL). Ses compétences juridiques et sa grande connaissance des conditions de détention dans les maisons centrales, où sont détenues les “longues peines”, en font l’un des meilleurs spécialistes de la perpétuité en France.
Dans une démarche à la fois humaniste et pragmatique, il dénonce le recours de plus en plus massif à la peine de prison perpétuelle par les tribunaux et les lois votées ces quarante dernières années qui rendent son exécution de plus en plus effective.
La perpétuité tue l'espoir. Elle n'offre rien d'autre que l'infinie répétition des jours de détention, sans perspective de changement et c'est ce qui lui confère son caractère absolument tragique par rapport à toutes les autres peines
Jean-Marie Delarue : "la perpétuité tue l'espoir"¶
Prison Insider. Dans le langage courant l’expression “à perpétuité” signifie “pour toujours”. Or, dans le droit français, la peine de prison qui prévoit d’enfermer des condamnés pour toujours est toujours assortie d’une perspective de sortie possible. Dans ces conditions, qu’est-ce que signifie, dans le code pénal, la prison à perpétuité ou la réclusion à perpétuité?¶
Jean-Marie Delarue. Cela signifie d’abord que c’est une forme de condamnation qui sanctionne un crime. Le code pénal énumère les sanctions de prison : détention ou réclusion criminelle applicables aux crimes. Il en donne quatre : les peines de 15 ans au plus, les peines de 20 ans au plus, les peines de 30 ans au plus et, au bout, la perpétuité. La perpétuité, ça veut dire que c’est pour toujours. La condamnation est pour toujours. Et ce qu’il faut bien comprendre c’est que cette condamnation pour toujours constitue la peine maximale qui sanctionne les crimes les plus graves. Mais ça ne signifie pas, comme vous venez de le dire, que l’exécution de la peine va durer jusqu’au restant des jours du condamné.
Il faut qu’il ait la possibilité, à un moment donné, de bénéficier d’une mesure de libération conditionnelle, de pouvoir sortir éventuellement. Mais il est admis que cette possibilité n’ait aucune issue positive et que, par conséquent, la personne reste en prison jusqu’à la fin de ses jours.
En cette matière, la Cour européenne des droits de l’homme, qui a eu un peu de mal à fixer sa doctrine et qui l’a fait dans un arrêt de 2013, nous dit que lorsqu’un code pénal prévoit une peine à perpétuité, on doit pouvoir demander un aménagement de cette peine. Autrement dit, pour jargonner juridiquement, la peine ne doit pas être incompressible. Mais si elle ne l’est pas et si, par conséquent, le condamné fait les recours qu’autorise la loi mais que ses recours sont rejetés, il pourra bel et bien rester jusqu’à la fin de ses jours en prison.
Prison Insider. En France, la peine de prison à perpétuité est toujours assortie d’une période de sûreté. De quoi s’agit-il ?¶
JMD. Pour les crimes, la peine est toujours assortie d’une période de sûreté. C’est une mesure légale relativement récente qui date de la fin de 1978 et qui marque l’éternel balancement de la loi pénale entre deux pôles : donner des instruments de réinsertion au condamné et le sanctionner sévèrement. Dans cette oscillation permanente, la période de sûreté correspond à une sorte de durcissement de la condamnation. Elle s’applique à toutes les peines criminelles. Cela signifie que, lorsque quelqu’un est condamné pour un crime, la durée de sa peine est fixée entre 10 ans et la perpétuité et qu’elle est toujours assortie d’une période pendant laquelle cette peine ne sera susceptible d’aucun aménagement : ni suspension de peine, ni fractionnement de peine, ni placement à l’extérieur, ni permission de sortie, ni libération conditionnelle. Autrement dit, pendant la période de sûreté, la personne est strictement enfermée.
Pour les condamnés à perpétuité, la période de sûreté est fixée à 22 ans et elle peut même être portée à 30 ans pour les crimes les plus graves. Cette dernière mesure est récente. Elle s’applique notamment en matière de terrorisme. Mais, là encore, il y a un balancement car il faut aussi assurer la réinsertion du condamné. Et donc, cette période de sûreté, fixée par le juge initial, peut-être abrégée par le tribunal de l’application des peines, pour les condamnés à perpétuité, à partir de 18 ans de détention ou de 22 ans si il y a eu récidive.
Prison Insider. Depuis 1994, il existe une peine à perpétuité dite “réelle” ou “incompressible”. De quoi s’agit-il ?¶
JMD. C’est une condamnation pour laquelle on ne peut bénéficier d’aucune mesure d’assouplissement de peine. Mais dans la réalité, c’est plus apparent que réel dans la mesure où, encore une fois, on ne peut pas dire que la personne condamnée est inaccessible à toute mesure d’aménagement, faute de quoi cette peine réelle serait incompatible avec ce que nous dit la Cour européenne des droits de l’homme. Ceci étant, 30 ans de sûreté, cela équivaut à 30 ans prison effective et c’est une peine terrible.
Prison Insider. Jean-Marie Delarue, lorsque vous étiez Contrôleur des lieux de détention, entre 2008 et 2014, vous et les membres de votre équipe avez rencontré des détenus condamnés à de très longues peines de 18, 20 ou 30 années de prison et parfois plus. Qu’est-ce que produisent des séjours en prison aussi longs sur les hommes et les femmes qui sont condamnés à ces peines ?¶
JMD. Tous ceux qui ont vécu la prison vous parlent du temps qui passe. Un temps qui est à la fois interminable et qui passe extrêmement vite. Une journée peut passer rapidement ou lentement mais elle ne modifie en rien la perspective que vous avez de votre détention. Et donc, ce qu’ introduit la perpétuité dans cette perception du temps c’est qu’il n’y a plus d’échéance possible et ça, c’est, en soi, une condition d’aggravation formidable de la détention.
Quand on est en prison, on a besoin de se raccrocher à un espoir, à une issue possible et la plupart des peines, parce qu’elles sont d’un an, de 5 ans ou de 10 ans, offrent cet espoir. La perpétuité tue l’espoir. Elle n’offre rien d’autre que l’infinie répétition des jours de détention, sans perspective de changement et c’est ce qui lui confère son caractère absolument tragique par rapport à toutes les autres peines.
Prison Insider. Est-ce que les très longues peines, et notamment la perpétuité, peuvent permettre aux auteurs d’assassinats, de viols ou d’autres crimes d’accéder à la nature et à la gravité de leurs actes ?¶
JMD. Évidemment, c’est très difficile de tirer des leçons générales en la matière parce que chaque condamné a sa personnalité, mais ce que je peux dire, c’est que ces détenus donnent le sentiment qu’au bout d’un certain nombre d’années, ils ont compris ce qu’ils ont fait. Ils n’ont d’ailleurs pas pu faire autrement que de comprendre puisque, confrontés à eux-mêmes, à l’inaction et à l’absence d’espoir, ils sont obligés de se pencher sur ce qui les a menés en prison. Et ce qu’ils nous disent, c’est que quelques années suffisent à cela. J’ai le souvenir de quelqu’un qui en était à 8 ans de détention et qui m’a dit “Ce que j’ai fait est abominable, il faut que je choisisse d’autres perspectives pour mon existence”. Y parviendra-t-il à sa libération ? Nul ne sait, mais enfin, il en a l’intention. Qu’est-ce que vous rajoutez, avec les 22 ans qui lui reste à faire ? Rien, si ce n’est de la souffrance. Dans une centrale, un jour, j’ai rencontré quelqu’un qui avait passé 44 ans en détention. Ce qui est en cause après autant d’années, ce n’est pas la conscience que le criminel a de son acte, mais c’est la possibilité de se réinsérer dans notre vie à nous autres qui sommes restés dehors et à retrouver les liens sociaux avec lesquels il a rompu depuis tant d’années. C’est un problème redoutable pour les longues peines.
Prison Insider . Anne-Marie Marchetti a écrit dans Perpétuités (Plon, Terre Humaine, 2001) “la nature et le sexe sont les deux grands absents la vie des longues peines dans les prisons françaises”. 15 ans après, pensez-vous que c’est toujours vrai?¶
JMD. Je pense que les maisons centrales n’ont pas beaucoup changé de configuration, sauf que les derniers modèles qui ont été construits dans l’Orne et dans le nord de la France sont encore plus redoutables, encore plus privés de “nature” que les maisons centrales traditionnelles. Quant à la vie sexuelle, elle ne s’est pas non plus améliorée. On n’a pas instauré, que je sache, la mixité dans les maisons centrales. Par conséquent ce qu’écrivait A.M Marchetti reste vrai. J’ajouterais que, dans beaucoup de ces établissements, il n’y a pas de relations humaines simples. C’est-à-dire que, comme me disait un détenu, “en prison on ne se fait jamais d’amis, car il faut toujours se défier de l’autre”.
En détention c’est le rapport à autrui qui est altéré. En tout cas il est tellement particulier qu’il ne peut pas être transposé dehors et donc c’est de cela dont souffrent particulièrement les longues peines. Et je ne parle pas des relations de violence qui s’instaurent souvent.
On peut rester sur son quant-à-soi pendant 30 ans parce que la peur est là, parce que la violence est là, en l’autre ou en soi-même. Comment est-il alors possible de demeurer humain ?
Prison Insider. Qu’est-ce qui serait, selon vous, le plus urgent: améliorer les conditions de détention ou raccourcir la durée des peines ?¶
JMD. Je crois qu’il faut jouer sur tous les tableaux à la fois. Il faut sûrement raccourcir les durées de détention parce qu’une longue peine renforce brutalement la protection de la société, mais affaiblit la capacité qu’a le détenu de se réinsérer.
Prison Insider. À partir de quelle durée estimez-vous qu’une peine de prison va “tuer l’espoir du prisonnier”, pour reprendre votre expression, et perdre son sens, si on considère qu’elle peut avoir un sens ?¶
JMD. J’aimerais que le juge d’application des peines, ou le tribunal d’application des peines pour les criminels, en s’appuyant sur l’évolution de chaque détenu et sur sa personnalité, ait la totale liberté de revenir sur la période de sûreté et sur le quantum de peine prononcée pour que, à compter de 8 ans s’il le faut, une personne soit dehors si elle a bien compris ce qui lui était arrivé.
Prison Insider. Vous rejoignez donc les recommandations du Conseil de l’Europe qui propose de réexaminer les peines à perpétuité au bout de 8 à 14 années de détention.¶
JMD. La Scandinavie, où les peines longues apparaissent comme quelque chose de totalement invraisemblable, m’a beaucoup fait réfléchir. Et je ne sache pas que la nature humaine est, chez les Scandinaves, radicalement différente de chez nous… En fait, s’ils ont bien perçu la dimension inutile des très longues peines c’est qu’ils ne sont pas accrochés à la gravité du crime, mais qu’ils sont attachés aux chances que le détenu a de se réinsérer.
La diminution de la durée des peines est indispensable, mais ce n’est qu’un volet.
La deuxième nécessité est d’améliorer les relations humaines en détention, d’instaurer la confiance entre les détenus. Cela veut dire que l’administration pénitentiaire devrait passer d’un strict rôle de “garde chiourme” -pardon pour la trivialité de la formule dans laquelle elle ne se reconnaîtra pas et avec raison- à une fonction beaucoup plus dynamique d’encouragement aux relations humaines.
Et puis, troisièmement, il faut jouer sur le nombre, le volume et la variété des activités offertes en prison pour que les détenus puissent profiter de ce temps - hélas trop long- pour changer de peau, changer de vie, changer de profession. Plus on proposera, notamment dans les maisons centrales, des formations extrêmement qualifiées et des activités qui engagent la totalité de la personne, plus on se rapprochera de la réinsertion à la sortie de la prison.
Prison Insider. Quand on se penche sur l’histoire de la perpétuité en France, on constate qu’en 1791, les révolutionnaires décident de maintenir la peine de mort mais d’abolir la peine perpétuelle. Qu’est-ce qui fonde cette décision ?¶
JMD. C’est l’idée que l’être humain est infiniment respectable et qu’en cas de crime grave, on ne peut pas prolonger indéfiniment la peine sans porter atteinte à la dignité de la personne. Et je crois que c’était un raisonnement censé. Alors bien sûr, on dira que la peine de mort était bien pire et, 200 ans plus tard, on s’est aperçu que c’était pire. Mais la disparition de la peine de mort a eu pour résultat, en France, d’accroître très sensiblement le nombre des très longues peines. En 1981, il y avait 200 très longues peines et aujourd’hui il y en a environ 2000. Le paradoxe, c’est qu’on a cru pouvoir substituer à la peine de mort une très longue peine, qui n’en n’a pas du tout les mêmes ressorts ni les mêmes - je mets le mot entre guillemets - “avantages”.
Prison Insider. En mars dernier, Nathalie Kosciusko-Morizet a proposé l’instauration d’une perpétuité effective, sans libération possible, qui serait appliquée aux auteurs d’actes terroristes. Comment analysez-vous cette proposition et pensez vous qu’un jour on instaurera en France, comme aux États-Unis, la prison à vie ?¶
JMD. Depuis une quinzaine d’années on est dans une phase de durcissement incontestable des peines. On le voit notamment au nombre de détenus peuplant les prisons françaises qui a presque doublé en l’espace de 15 ans. Le fait qu’il y ait un plus grand nombre de détenus s’explique par la multiplication des courtes peines mais aussi par l’accroissement des très longues peines.
L’opinion ne comprend pas - parce qu’on ne prend pas la peine de lui expliquer - que les peines à perpétuité ne se traduisent pas par des peines à vie, donc jusqu’à la fin de ses jours. L’opinion n’a jamais compris non plus l’aménagement des peines, parce qu’on n’a jamais fait l’effort de lui en expliquer la logique.
Pour une majorité de nos concitoyens, le condamné est dans le même état d’esprit le jour de sa libération qu’il l’était en entrant. Ce qui signifie que l’opinion ne croit pas du tout que la prison puisse aider à faire évoluer les gens.
Alors, le jour où le législateur - et cela peut vraisemblablement se produire car le courant de l’histoire va dans ce sens - adoptera le principe d’ une peine effective, cela voudra dire que le juge ou le tribunal d’application des peines ne joueront plus aucun rôle. Et ces condamnés-là n’ayant plus accès aux aménagements de peine, contrairement aux autres condamnés, le principe de l’égalité entre les justiciables sera rompu. Ce qui posera également la question de la légalité de la peine qui est un principe constitutionnel. Et qui viendra enfin contredire la position de la Cour européenne des droits de l’homme, qui dit désormais dans sa jurisprudence : pas de peine incompressible !
Prison Insider. En 2008, avec l’instauration en France de la rétention de sûreté, est-ce que les portes ne se sont pas fermées encore d’un ou deux tours supplémentaires pour les détenus condamnés à perpétuité ?¶
JMD. La rétention de sûreté consiste à maintenir dans un lieu fermé, qui n’est pas une prison mais un lieu spécialisé censé être plus médicalisé qu’une prison - en réalité, ça ne l’est pas - quelqu’un qui a commis un crime particulièrement grave, notamment dans le domaine des agressions sexuelles. C’est le fameux prédateur sexuel dont on dit qu’il ne guérit jamais ou ces récidivistes qui ont commis 2 fois des viols. Ce sont ces personnes-là qui sont visées par la rétention de sûreté - alors même que la récidive criminelle est complètement négligeable sur le plan statistique.
Prison Insider. Elle est néanmoins largement relatée par les grands médias ainsi que par certains hommes politiques qui n’hésitent pas à s’en emparer.¶
JMD. En effet, la récidive criminelle est souvent mise en lumière et grossie exagérément par les médias. Et un seul cas fait, dans les médias, la loi statistique. Malheureusement, la rétention de sûreté répond à l’opinion publique qui dit : “ces gens-là il faut les coffrer pour la vie”. Et donc enfermer, à l’issue de leur peine de prison et pour une durée indéterminée, dans des locaux spécialisés, des gens qui ont commis des crimes particulièrement graves.
Une commission régionale spécialisée composée de magistrats se charge régulièrement de déterminer si la personne est toujours dangereuse ou pas. La dangerosité d’une personne, qui est une notion très employée aujourd’hui dans notre code de procédure pénale…je ne sais pas, personnellement ce que recouvre ce concept.
Et même s’il y a des psychiatres qui ont accepté d’en donner une définition, bien d’autres sont extrêmement réservés sur cette question. Quoi qu’il en soit, c’est selon cette modalité qu’on va décider si quelqu’un doit rester en rétention de sûreté ou pas. Et, de fait, cette rétention de sûreté est une autre forme de perpétuité. Sauf qu’elle est régulièrement, en vertu de la loi, soumise de nouveau à l’appréciation du juge. Mais sinon, c’est un enfermement qui peut durer jusqu’à la fin de la vie de la personne - qui a pourtant purgé sa peine.
Prison Insider. Pour les magistrats et pour les psychiatres concernés, prendre la responsabilité d’autoriser la sortie d’un violeur ou d’un criminel ayant purgé sa peine c’est, dans le contexte actuel, une grosse responsabilité. Les politiques aussi sont sous pression quand un grand nom du crime est susceptible d’être libéré.¶
JMD. On est dans des jeux terribles puisque l’on se fie aux apparences. Or une personne, quelle qu’elle soit, ne se réduit pas à son apparence et pas non plus aux actes qu’elle a commis, aussi horribles soient-ils. Un viol est quelque chose d’absolument effrayant, mais personnellement, je crois qu’il faut accepter que les gens puissent cheminer et évoluer. Il est donc important que la prison leur donne les moyens de cette évolution. Pour moi, cette ouverture d’esprit est un instrument beaucoup plus fiable de lutte contre la récidive, que le fait de maintenir indûment les gens en prison ou en rétention de sûreté jusqu’à la fin de leurs jours. Mais la rétention de sûreté comme la perpétuité ont ceci de malencontreux qu’elles satisfont immédiatement l’opinion publique. L’opinion publique se sent ainsi protégée des agissements de personnes qu’elle ne veut plus voir au milieu d’elle. Donc la rétention de sûreté, la perpétuité et les longues peines risquent de l’emporter bien longtemps sur un travail lent, patient et assidu auprès d’une personne pour l’inciter à évoluer.
Propos recueillis par Vincent Rouvière¶
À 60 ans, il en aura passé près de 38 dans l’enceinte des centrales et des maisons d’arrêt, connaissant par cœur cet univers qui déroule son propre rythme.
Larbi, les murs pour seul horizon¶
POUR LARBI BELAÏD, la vie en dehors du monde carcéral se résume à une poignée d’années. À peine quatre, au cours des trois dernières décennies.
L’extérieur, pour moi, c’est des cartes postales ou des durées déterminées, décrit cet homme à la silhouette sèche et à l’allure discrète.
À 60 ans, il en aura passé près de 38 dans l’enceinte des centrales et des maisons d’arrêt, connaissant par cœur cet univers qui déroule son propre rythme.
Un “animal de captivit锶
De son enfance, Larbi garde le souvenir des baraquements alignés “entre la voie ferrée et la décharge” en banlieue lyonnaise, et de ses frères et sœurs, dont il peine à se souvenir le nombre exact emporté par le froid et les maladies. Cinq, hésite-t-il. Une enfance ponctuée de “chapardages”, qui le mènent en maison de correction à tout juste treize ans. C’était une véritable pouponnière, s’amuse-t-il. On y chantait déjà des chansons en uniforme, comme les taulards. Des visages croisés à l’adolescence, qui reviendront souvent au détour des cellules.
Bien avant sa majorité, Larbi se lance dans des fugues à répétition marquées par des cambriolages, qui le mèneront en maison d’arrêt. C’est à tout juste 18 ans que son avenir se scelle par des condamnations à de longues peines : 12 ans de prison ferme pour vol, puis la réclusion criminelle à perpétuité à l’issue d’un braquage qui aura mal tourné pendant une année de cavale, et lors duquel un postier y laissera la vie. Le fait divers avait défrayé la chronique dans les années 1980, mais Larbi Belaïd n’a pas voulu minimiser son geste. Je n’ai jamais été fier de ce que je faisais, relate-t-il. Je suis le premier à le déplorer. Quand je suis passé aux assises, je me suis d’abord adressé à son père, en lui disant que je ne j’avais jamais voulu la mort de son fils. Mais les regrets sont déplacés et j’assume mon acte. J’ai payé, et je paierai.
J’ai toujours vécu enfermé, je suis un animal de captivité, note le sexagénaire. Les journées débutent par la seule promenade quotidienne autorisée. La porte s’ouvrait à huit heures, on remontait une heure plus tard, et ensuite on était tout le temps en cellule, alors qu’aujourd’hui, les règlements ont changé, on peut se promener deux fois par jour. L’homme se réfugie dans le sport, et dans la littérature. J’ai quitté l’école quand j’avais onze ans. Quand je me suis retrouvé en détention, j’ai commencé à lire tous les classiques. En commençant par la lettre “A”. Sa première rencontre avec l’écriture ? Robinson Crusoé, je me suis retrouvé dans sa solitude. Seul, j’étais bien. Et l’écriture me faisait partir, je découvrais de nouveaux mondes.
Larbi a souvent campé le rôle du “grand frère”, pour “s’occuper des copains”. Mais son profil de meneur, le conduit à être le plus souvent placé à l’écart.
Une semaine après sa condamnation à perpétuité, une tentative d’évasion le laissera la cage thoracique enfoncée sur les herses métalliques des murs de la prison Saint-Paul. Il s’en sort “miraculé”, au terme d’un séjour en soins intensifs, et finit 45 jours au mitard.
C’est comme si j’étais enfermé dans un placard, tout en béton. Là, on te traite comme un fauve. Mais ça ne me dérangeait pas d’y être.
Une longue peine de détention vous coupe des humains. L’humain, vous le trouvez lâche, vous ne pouvez plus lui faire confiance. Les gens ne sont pas fiables, ce qui vous a été imposé à l’intérieur, c’est trop ancré… Le ressort est cassé.
Depuis sa cellule, Larbi a vu sortir ceux qui ont partagé son sort. Condamnés à perpétuité, ou à de longues peines. Mais lui reste. Comme si rien n’avait de prise sur le temps
Dès ses premières incarcérations, Larbi décide de prolonger les murs qui le séparent du reste du monde, et ne veut pas entretenir de lien avec ses proches. Sans doute pour enterrer avec une maigre avance les faux espoirs.
Lorsqu’il est arrêté en 1984, après le braquage qui lui vaudra sa condamnation à perpétuité, Larbi vit sa cavale avec sa compagne, tout juste enceinte, qui a tenté de maintenir le contact. J’ai refusé qu’elle vienne dans toutes les centrales, mais elle y tenait, explique-t-il. Je savais que les liens finiraient par être coupés, et j’ai refusé de donner des nouvelles. Elle l’a mal pris. Les transferts au gré des maisons d’arrêt feront le reste. La dernière fois que j’ai vu ma fille, elle allait avoir trois ans. Pour elle, j’étais un non-dit, résume-t-il. Il a préféré que sa mère, “une sacrée maman”, puisse refaire sa vie. Leur fille, elle, est passée de l’autre côté de la barrière en débutant une carrière dans la police, avant de lui préférer l’enseignement.
Et il aura une autre fille, après une nouvelle rencontre, à sa libération en 2009. Un nouvel intervalle de vie encore interrompu par une arrestation trois ans plus tard.
On était plutôt à côté de la vie que dedans. On a essayé de faire comme les autres, d’avoir une vie, mais c’était pas pour nous.
Depuis sa cellule, Larbi a vu sortir ceux qui ont partagé son sort. Condamnés à perpétuité, ou à de longues peines. Mais lui reste. Comme si rien n’avait de prise sur le temps, au terme de sa peine de sûreté, fixée à quinze ans.
Lui aura dû patienter une décennie de plus, mais la prison sera toujours là, comme s’il y avait un témoin permanent. On ne la quitte jamais.
Quand je suis sorti, je suis allé au cimetière. J'ai regardé les tombes et j'ai dit "Alors on se sent seuls ?"
Sa notion du temps reste calée sur celle qu’il a connue en détention, tout comme son rapport aux autres. Son premier réflexe, lorsqu’il s’est retrouvé à l’air libre au bout de 25 ans, a été de se rendre au cimetière de Nancy.
Il n’y avait personne. J’ai eu l’impression de me retrouver à la maison d’arrêt, dit-il. Il y a la même rapport pour moi entre la prison et la mort. Dans cette existence, il sait qu’il “ne trouvera plus jamais sa place”.
En juin dernier, Larbi a de nouveau été condamné à six ans de prison pour un braquage qu’il a toujours nié. S’il a goûté à l’air libre depuis un peu plus de deux ans, ce passage à l’extérieur ne pourrait bien être qu’une parenthèse éphémère, avant d’être rattrapé une nouvelle fois par une vie emmurée.
Propos recueillis par Anne-lise Fantino¶
Italie
L'homme-ombre attend la fin de sa peine tout en sachant qu'elle n'arrivera jamais. Et le fait d'attendre pour rien tue et torture le cœur de n'importe quel être humain.
Carmelo Musumeci : une journée particulière¶
“L’HOMME-OMBRE attend la fin de sa peine tout en sachant qu’elle n’arrivera jamais. Et le fait d’attendre pour rien tue et torture le cœur de n’importe quel être humain.” Ainsi parle Carmelo Musumeci, 57 ans, condamné à la prison à perpétuité effective et détenu depuis 22 ans à la prison de Spolète en Ombrie, dans le centre de l’Italie.
Autodidacte, il a obtenu, en 2011, un master en droit pénal à l’Université de Pérouse. C’est là que Daniel Bouy et Mattéo Giouse l’ont rencontré, pour Prison Insider, à l’occasion d’une permission de sortie. Car Carmello Musumeci a été le premier condamné à la perpétuité réelle à bénéficier d’un aménagement de sa peine, pour la raison qu’ il n’avait plus matière à “se repentir”, le groupe criminel dont il faisait partie ayant été démantelé.
Association Antigone
Association de protection des droits et de la légalité dans le système pénal
L’association Antigone, ONG spécialisée dans la défense des droits des prisonniers, est l’organisation correspondante de Prison Insider en Italie. Patrizio Gonella, président de l’association, répond à nos questions sur la perpétuité réelle, appliquée dans son pays depuis plus de 25 ans.
Sur 1 500 détenus condamnés à perpétuité, entre 500 et 600 détenus italiens sont soumis à l'ergastolo ostativo ou perpétuité réelle.
"Notre combat contre la prison à vie"¶
Prison Insider. Qu’est-ce qui a justifié la mise en place en Italie de l’ergastolo ostativo, ou “perpétuité réelle”, et pour quels résultats?¶
Antigone. L’ergastolo ostativo a été instauré à la suite des attentats mafieux du début des années 1990 dans lesquels les juges Falcone et Borsellino ont été tués. En réalité, le débat à propos des conditions d’emprisonnement et de l’accès aux mesures alternatives avait commencé avant ces événements. La loi Gozzini, adoptée en 1986, prévoyait que tous les détenus (y compris les condamnés à perpétuité, et quelle que soit la nature de leur crime), dont le bon comportement était avéré, puissent bénéficier de mesures alternatives, soit au début de leur peine, soit après avoir purgé partiellement leur peine. Cela permettait aux condamnés à perpétuité d’accéder plus rapidement à la semi-liberté, puis à la liberté conditionnelle. C’était une loi très progressiste, qui avait été votée dans un contexte où l’on pensait que le terrorisme avait été éradiqué.
Auparavant, dans les années 1970 et 1980, on avait posé de nombreuses limites à l’aménagement des peines, en réaction à la lutte armée terroriste.
La loi Gozzini de 1986 avait été remise en question dès sa promulgation par certains, qui la jugeaient trop permissive. Après les attentats maffieux de 1991, l’Italie traverse un moment historique difficile : fin de la première République, série d’enquêtes sur la corruption de la classe politique italienne. Dans ce contexte, une réforme constitutionnelle est entreprise qui prévoit des conditions plus restrictives pour accorder la grâce ou l’amnistie. En effet, il faut désormais l’accord de deux tiers des députés, alors qu’auparavant il suffisait de 51%. En affichant une certaine intransigeance, la classe politique en crise essaie de conserver une image intègre.
Dans le même esprit, deux dispositifs légaux sont venus durcir le règlement pénitentiaire italien :
L’article 41 bis de la loi sur l’ordonnancement pénitentiaire prévoit l’application d’un régime pénitentiaire particulièrement dur aux détenus condamnés pour association criminelle de type mafieux. Ce régime est fixé au cas par cas par arrêté ministériel et prévoit l’isolement sur une période qui est censée être limitée, mais qui en réalité peut être reconduite plusieurs fois par le ministère.
De fait, il y a aujourd’hui des prisonniers placés sous un régime pénitentiaire strict depuis 1991 ! Aujourd’hui, en Italie, on compte 600 à 700 personnes placées sous ce régime. Dans l’immense majorité des cas, ces détenus ont été condamnés pour des crimes mafieux, et seuls quelques uns purgent une peine en raison d’un crime lié au terrorisme international.
Lorsqu’on parle de crimes mafieux, cela concerne toutes les mafias italiennes: sicilienne (Cosa Nostra), napolitaine (Camorra), calabraise (’Ndrangheta) des Pouilles (Sacra Corona Unita).
L’article 4 bis de la loi sur l’ordonnancement pénitentiaire prévoit que tous ceux qui ont été condamnés pour des crimes organisés (des infractions souvent liées aux activités mafieuses comme le vol à main armée, la séquestration, l’extorsion, le terrorisme international ayant été ajouté par la suite) ne peuvent bénéficier de mesures alternatives qu’à la condition qu’ils collaborent avec la justice, même en cas de comportement irréprochable.
Or, certains détenus ne peuvent ou ne veulent pas collaborer. Ou encore leur collaboration n’est pas jugée utile. Ainsi, ces personnes sont condamnées à rester en prison toute leur vie.
C’est ce que l’on appelle l’ergastolo ostativo, ou “perpétuité réelle”, à laquelle sont soumis entre 500 et 600 prisonniers italiens, sur un total de 1 500 détenus condamnés à perpétuité.
Cette situation a engendré le problème des “collaborations non exigibles”, qui concerne les détenus qui n’ont pas ou plus d’informations utiles à donner ; dans leur cas, une dérogation à l’article 4 bis est théoriquement possible. D’ailleurs, Carmelo Musumeci, qui est incarcéré depuis 1992, a été le premier à bénéficier d’une telle dérogation, car il n’avait plus d’information utile à donner sur le groupe criminel dont il faisait partie, celui-ci ayant été entièrement démantelé1. C’est un premier cas qui pourrait ouvrir la voie à la jurisprudence pour les cas de collaboration non exigible.
Prison Insider. Où en est le débat politique en Italie sur la question des peines à perpétuité ?¶
Antigone. En ce moment, il n’y a aucun débat. La dernière fois qu’une proposition de loi pour l’abolition de toutes formes d’emprisonnement à perpétuité a été présentée, c’était en 1998. En revanche, un débat sur la réforme du règlement pénitentiaire est en cours, ce qui pourrait avoir des retombées sur la question de l’ergastolo ostativo. En 2013, l’Italie a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme en raison de “conditions de détention inhumaines et dégradantes”, dues au surpeuplement dans les prisons italiennes (arrêt Torreggiani, 2013). Par conséquent, l’Italie a dû mettre en place des mesures visant à réduire le nombre de détenus, ainsi qu’à améliorer leurs conditions de détention et à assurer leurs droits. Ainsi, le gouvernement a présenté une proposition de réforme du règlement pénitentiaire. Celle-ci comprend 12 articles qui couvrent des domaines aussi divers que le travail, la sexualité, les mineurs, les étrangers ou les droits religieux…
L’association Antigone a participé à ce projet en avançant des propositions afin de l’améliorer. Dans ce cadre, le gouvernement a suivi les propositions de certains universitaires impliqués dans l’élaboration de la réforme, et proposé d’abolir l’article 4 bis. Une telle disposition aurait rendu aux juges l’autorité pour accorder des aménagements de peines aux détenus condamnés pour association de malfaiteurs, et impliqué la disparition de l’ergastolo ostativo. Mais dès que ce texte est arrivé au Parlement, les réactions ont été négatives. Le projet de loi a donc été modifié dans le mauvais sens, en maintenant l’interdiction des aménagements de peine pour les personnes condamnées pour des crimes liés à la mafia et au terrorisme. La réforme est actuellement en discussion au Sénat, mais étant donné que les partis gouvernementaux disposent d’une faible majorité, son approbation n’est pas certaine.
Prison Insider.Quels sont les objectifs, les actions, le positionnement et l’organisation d’Antigone ?¶
L’association Antigone en tant que telle existe depuis 25 ans. Mais en réalité, son histoire a commencé dans les années 1980, à l’époque du terrorisme, sous la forme d’une revue consacrée à la critique de l’état d’urgence et des évolutions autoritaires du système pénal.
Actuellement, notre activité consiste à développer des propositions politiques et des initiatives culturelles, et à faire du lobbying auprès du Parlement afin d’obtenir plus de garanties concernant le respect des droits humains dans les systèmes pénal et pénitentiaire. D’une part, nous nous occupons de tout ce qui concerne la procédure, les droits fondamentaux, les règlements pénitentiaires, aussi bien au niveau national qu’international, et en particulier, européen. D’autre part, nous menons un travail sur le terrain, par le biais de nos douze antennes régionales, qui s’articule autour de quatre axes :
- Un observatoire national sur les conditions de détention, qui existe depuis 1998 et travaille en partenariat avec l’OIP (Observatoire International des Prisons) de Lyon. Les membres de cet observatoire, qui sont au nombre d’une soixantaine, sont autorisés à visiter les prisons italiennes pour adultes et pour mineurs, afin d’y mener une activité d’observation. Depuis quelques années, nous avons aussi l’autorisation de filmer. Tous les ans, nous présentons notre compte-rendu annuel sur la situation des prisons italiennes2.
- Un bureau de “défense civique des personnes privées de liberté” composé de jeunes avocats. Nous recevons 20 à 30 signalements par semaine en provenance de toutes les régions italiennes. Nous traitons ces demandes, nous répondons et essayons d’apporter notre aide, en allant même jusqu’au contentieux lorsqu’il le faut. Nous travaillons à l’échelle nationale et internationale, et menons parfois des recours auprès de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH). Bien évidemment, il s’agit de problématiques d’exécution pénitentiaire ; nous n’intervenons pas lors des procès.
- Des guichets d’information juridique dans certaines prisons italiennes, avec des avocats et des médecins, souvent en coopération avec des universités.
- Un travail de recherche à l’échelle nationale et internationale, essentiellement dans le cadre de l’Observatoire Européen des Prisons, composé de huit partenaires.
Nous avons une toute petite équipe de quatre personnes, qui s’occupe de tout gérer et tout coordonner, mais nos activités sont menées par des dizaines de bénévoles qui se sont impliqués dans l’association au fil du temps. Nous avons beaucoup de demandes de bénévolat que nous ne pouvons pas toujours accepter, faute de places. L’association compte 300 adhérents. Elle est subventionnée par des fonds de l’Union européenne et par des financements privés.
Voir notre entretien avec Carmelo Musumeci ↩
Antigone est l’une des associations correspondantes de Prison Insider. Lire le rapport annuel 2015 de l’Italie ↩
Propos recueillis par Agnese Pignataro¶
Le populisme pénal est à nos portes. Notre travail consiste à diffuser des informations de qualité afin d'éviter que la situation ne dégénère
Ma prison est une tombe pour enterrés vivants (...) nous, prisonniers ostativi, nous bougeons comme des robots. Les rythmes, les habitudes, les frontières existentielles sont altérées.
La première lettre de Marcello Dell'Anna¶
MARCELLO DELL’ANNA a passé la plus grande partie de sa vie en prison. Il a été condamné à la peine de l’ergastolo ostativo (prison à perpétuité sans possibilité d’aménagement de peine) à l’âge de 23 ans, lorsqu’il était un des chefs de la Sacra Corona Unita (mafia italienne basée dans la région des Pouilles).
Aujourd’hui, il a 49 ans. Il est détenu dans la prison de Badu’e Carros à Nuoro, en Sardaigne.
Il a accepté le principe d’un échange épistolaire avec la journaliste suisse Laurence Bolomey et d’une publication régulière de ses lettres sur le site de Prison Insider.
Chère Laurence,
J’ai reçu ta lettre avec un immense plaisir et j’espère que tu ne m’en veux pas pour ce grand retard que j’ai pris à te répondre. Je me permets d’utiliser le “Tu”, non par irrespect ou souci de rentrer dans un rapport confidentiel avec toi, mais parce qu’il s’agit d’une forme plus commode, plus directe. Mais je reviendrai au “Vous”, si tu le souhaites.
Je prends acte de ta formation journalistique et je suis heureux d’entamer cette correspondance et d’entreprendre ce projet pour, dirais-je, donner la parole à ceux qui, dans ce genre d’endroit, ne l’ont pas. Et surtout pour faire connaître une peine en vigueur en Italie, qui a quelque chose d’absurde, l’ergastolo ostativo. Le Pape François la nomme “peine de mort déguisée”.
Avant de continuer, laisse-moi me présenter. Je suis né à Nardò, une ville de la province de Lecce, située dans la région de Salento, au sud des Pouilles. Mon domicile à ce jour s’appelle “prison”. J’y ai passé 28 de mes 49 ans de vie. Je suis détenu de manière ininterrompue depuis 24 ans. Je purge une peine à perpétuité ; pas une perpétuité dans le sens commun du terme mais sa variante ostativa.
Je suis marié et ai un fils de 28 ans. Je suis un prisonnier qui a un intérêt certain pour les études et le goût de l’écriture. Durant ces années de détention, j’ai reçu plusieurs récompenses et prix, des attestations de mérite et de qualification professionnelle, baccalauréat, puis diplôme en Droit, obtenu en 2012 avec la note maximale, titre pour lequel j’ai également reçu une distinction de la part de la Direction du pénitencier de Spoleto. J’ai écrit quelques livres et divers documents juridiques.
Souvent il me vient à l’esprit qu’au fond, lorsque tu fais partie des condamnés à la perpétuité, le fait de devenir une personne différente, meilleure, n’a qu’une importance secondaire, parce tu restes un condamné à tout jamais. Aujourd’hui, il faut le dire, pour nous, prisonniers à la perpétuité ostativa, la prison est une tombe pour enterrés vivants.
Tu as le sentiment d’être un résidu de l’humanité, qui vit hors du cycle naturel. L’ergastolo ostativo nous conditionne, nous déshumanise, nous change, nous désagrège physiquement et psychologiquement. Certes, nous ne portons plus la tenue rayée, ou la camisole blanche, pas plus qu’un matricule sur le béret, mais, malheureusement la réalité reste la même, chacun de nous est un numéro, parfois juste un dossier.
Si vous entriez dans l’antre de cette peine infernale, vous réussiriez à capter une atmosphère triste, irréelle, dans laquelle nous, prisonniers ostativi, nous bougeons comme des robots. Les rythmes, les habitudes, les frontières existentielles sont altérées. Tout est modifié par cette réalité qui se situe à des années-lumière des parcours quotidiens normaux.
La prison à perpétuité ostativa modifie tout. Ton être, ton sourire, tes pensées, ta manière de marcher, aimer, croire, espérer ou rêver… L’ergastolo ostativo est responsable de la spoliation humaine et sociale de l’homme.
Cette peine représente une sorte d’expérimentation de la régression. La réalité quotidienne est pleine de désolation. Elle est un simulacre de vie, qui provoque de profondes lacérations psychologiques. Elle devient criminogène, souvent. Elle abrutit, presque toujours.
“L’absence d’espoir” et la “conscience de mourir en prison” deviennent les douloureuses racines de la détérioration de l’Homme, du vieillissement des émotions. On peut dès lors facilement imaginer l’état d’esprit des gens, qui sont conscients qu’un jour ils franchiront, certes, le portail de la prison, mais les pieds devant. Nous voyons tout s’effondrer autour de nous. Nous percevons, avec vigueur, cet écroulement, une angoisse, un vide existentiel. Avec en prime, le remord. Et le remord domine.
Au-delà des barreaux et du ciment, nous, ergastolani ostativi, nous ne nous sentons plus humains.
La prison se dessine comme le lieu de notre anéantissement total. Les événements qui nous arrivent, les sentiments, les émotions, les peurs et l’espoir, les haines et les amours proposent d’étranges contours d’irréalité, qui deviennent des signaux d’alarmes.
Chacun de nous vit comme un homme traqué. Personnellement, je me sens surtout repoussé, vomi par la société.
Je suis désormais un autre. Altéré, déformé, violenté dans mes fondements essentiels, je suis désormais un corps qui a vieilli en accéléré, un visage anonyme, un regard éteint, qui se tend vers le vide.
Et nous sommes peu à réagir, à pouvoir résister et vaincre ce monstre. Beaucoup subissent. Il faut dire que dans chaque système pénitentiaire existe une contradiction de fond : d’une part, il y a cette prétention d’enseigner au détenu un mode de vie qui lui permettra de se comporter de manière adéquate dans le monde libre. De l’autre, ce même détenu est contraint à vivre “durant sa vie entière” dans une prison qui est l’antithèse de ce monde libre. Le fait de vivre cette peine crée une perception de soi particulière, celle “d’une personne privée de tout droit”. Nous nous retrouvons dans une situation d’absence d’autodétermination.
Et pourtant, certains d’entre nous, après des décennies d’emprisonnement, après être morts dans leur faute, après avoir dédommagé en quelque sorte la société par la dureté de leur condamnation, sont conscients d’être des êtres nouveaux, “nés” de leur propres cendres, qui découvrent une confiance en leur propre valeur d’être humain. La Constitution donne l’impression de croire à cette renaissance, mais en fait, il n’en est rien. Pour nos Institutions, il semble que nous devions rester les mêmes pour toujours, mourir coupables d’une faute déjà payée par la perte de notre jeunesse, de notre âge mûr… payée de nos vies et de celles de nos proches.
Le changement est accessible à tous et un État démocratique devrait toujours donner une seconde chance, sur la base de faits objectifs relatifs à un parcours rééducatif concret. Ce changement, plusieurs d’entre nous l’avons opéré parce que nous avons eu le courage de nous remettre en question, en prenant résolument notre distance d’avec le monde du crime, parce que nous avons atteint un niveau de maturité qui nous permet de ne pas oublier un seul instant la douleur que nous avons infligée aux victimes de nos actes.
Pour conclure, j’aimerais dire qu’on ne peut pas nier la liberté d’un homme sur la seule base d’un acte qui remonte souvent à des décennies. Et je considère qu’il est injuste qu’un prisonnier, pour payer sa dette à la société et pour obtenir des aménagements de peine, doive dénoncer des gens dont il sait qu’ils pourraient se venger en s’en prenant à ses proches. Je ne crois pas que ce soit cela, la bonne manière pour s’amender du mal qu’on a infligé.
La société a le droit d’attendre le retour en son sein de personnes qui ont changé, d’individus meilleurs, réintégrables, et respectueux des lois et des règles sociales, et non de repentis qui auraient troqué leur liberté contre des confessions parfois douteuses mais habilement distillées et qui resteraient, au fond des criminels, de dangereux assassins avec tout ce que cela implique de dommages pour la société. J’appuie cet argument sur ma propre expérience, sur l’évolution et la métamorphose d’une “personne neuve” qui ne pense plus comme un prisonnier ostativo.
Et je vous retourne une question posée par un avocat célèbre, à vous citoyens suisses, français, européens, à vous, Messieurs les avocats et Institutionnels : “comment est-ce possible de tolérer un système dans lequel les droits humains sont niés aux condamnés ? Quelle acception de l’humanité laisserez-vous à vos enfants si vous devez leur expliquer qu’en Italie, il y a un monstre, appelé ergastolo ostativo qui phagocyte ceux qui ont failli, qui fait purger une peine décuplée à ceux qu’il détient? Avec quel cœur direz-vous à ceux qui vous succéderont que dans ce pays-là, “berceau de la civilisation et des droits”, il existe un système qui emmure vivants des êtres humains et qui leur enlève jusqu’à leur dignité d’Homme.”
Chère Laurence, j’espère avoir répondu à tes questions de manière exhaustive et compréhensible. J’ai écrit ce que je ressens dans mon cœur parce qu’il s’agit là d’observations authentiques, dont je pâtis chaque jour dans ma chair.
Je serais heureux de connaître ton opinion et dans l’attente de recevoir de tes nouvelles, je te salue cordialement.
###Marcello Dell’Anna
Patrick Le Mauff, comédien, lit la lettre que Marcello Dell’Anna a écrite.
Honduras
Pour tenter de faire face à un des taux de criminalité les plus élevés du monde, ce petit pays d’Amérique centrale prend un tournant politique très sécuritaire depuis quelques années, légalisant par étapes l’emprisonnement à vie.
Le Honduras affiche une politique d’emprisonnement massif qui envoie en moyenne 20 personnes par jour derrière les barreaux
Luttes politiques pour imposer la prison à vie¶
DURCIR LES PEINES, supprimer les mesures provisionnelles pour 21 crimes, dont l’assassinat, et appliquer l’emprisonnement à perpétuité : voici les grandes mesures dissuasives par lesquelles le gouvernement du Honduras a tenté, ces quatre dernières années, de réduire la criminalité.
Cet état d’Amérique centrale de près de neuf millions d’habitants fait partie des pays, qui, sans connaître de conflit armé, affichent un taux de morts violentes parmi les plus élevés au monde. Jusqu’en 1997, la Constitution interdisait les peines de réclusion à perpétuité. Mais cette année-là, le vent a tourné, après l’enlèvement et l’assassinat du fils de l’ancien chef de l’Etat Ricardo Maduro. À la suite de cette affaire, le Congrès a modifié l’article 97 de la Constitution, qui stipulait que “personne ne peut être condamné à des peines de réclusion à perpétuité” et qui indique désormais que “la peine de privation de liberté à perpétuité peut être prononcée”. À partir de cette période, les tribunaux ont commencé à prononcer des condamnations qui revenaient à des réclusions à vie, au vu des années de prison cumulées pour différents délits.
Pour Joaquín Meja, avocat spécialisé dans la défense des droits humains et professeur à l’Université nationale du Honduras, “on cherche à ancrer l’emprisonnement à vie dans la jurisprudence, et bien qu’il ne soit pas inscrit dans le code pénal, il a progressivement été utilisé dans la pratique ces vingt dernières années”. En effet, bien que l’emprisonnement à vie soit à présent mentionné dans la Constitution hondurienne, il vient balayer les articles 35 et 66 du code pénal , qui disposent que “les peines cumulées ne peuvent pas excéder trente ans”, et que “dans le cas ou un délit est sanctionné par une peine de privation de liberté à vie, on appliquera entre vingt et trente ans de réclusion”. Personne ne peut croupir en prison pour le restant de ses jours, estime l’ancien juge et professeur de droit pénal Ramón Barrios.
Réforme en cours¶
Tomás Zambrano, membre du Parti national au pouvoir et président de la commission de sécurité législative, est un ardent promoteur de la prison à perpétuité. Il est l’un des artisans de la révision du code pénal, sur laquelle travaille en ce moment la commission qu’il préside, qui prévoit d’introduire l’emprisonnement à vie. Si un délinquant séquestre un citoyen et l’assassine, la justice doit aujourd’hui le condamner à la prison à vie, développe ce député.Idem dans un cas d’extorsion aggravée. Cela fait partie des réformes que nous avons proposées.
C’est justement pour mettre fin à ces ambigüités que ce parlementaire affirme qu’il faut réviser la loi : nous cherchons à faire passer un nouveau code pénal pour gommer toutes les contradictions de la loi actuelle. La tendance est déjà largement amorcée et, ces trois dernières années, une majorité des membres du congrès ont approuvé la réforme de trois articles qui augmentent les peines prévues par le code pénal pour l’assassinat de figures personnes publiques (présidents, membres du pouvoir judiciaire et du Conseil national de sécurité, et députés). Les nouvelles sanctions vont de 40 ans à la prison à vie.
Par exemple, trois Honduriens sont emprisonnés à vie depuis juin 2014, dans le pénitencier national de sécurité maximale Marco Aurelio Soto. Il s’agit des deux frères Osman Fernando et Edgar Francisco Osorio Arguijo et de Marvin Alonso Gomez, condamnés pour l’enlèvement aggravé du journaliste Alfredo Villatoro, séquestré le 9 mai 2012 et retrouvé sans vie six jours plus tard.
Violence contre violence¶
En 2015, le Honduras a recensé quatorze assassinats chaque jour, soit près de vingt six homicides quotidiens de moins qu’en 2012. Le député Tomás Zambrano croit fermement que la prison à vie a été un moyen réel de freiner la vague de violence : *quand un délinquant commet des crimes atroces, il faut que tout le poids de la loi lui tombe dessus, avec des peines sévères. Ce type de peines existe dans des pays développés, et en tant qu’État, nous avons le devoir de les appliquer *.
Mais pour Julieta Castellanos, rectrice de l’Université nationale, il n’y a aucun moyen de prouver la relation entre le durcissement des peines et la diminution des crimes. On peut encore moins démontrer que cela a un impact inhibiteur sur d’autres éventuels assassins. Elle est pourtant favorable à la prison à vie, car elle prive de liberté des criminels qui pourraient continuer de nuire à la société.
L’ancien juge Ramón Barrios rappelle que chaque fois qu’il y a eu une augmentation des homicides, assassinats et des viols, la seule réaction de l’État a été d’augmenter la durée des peines. Mais historiquement, nous pouvons constater que malgré cela la société est toujours plus violente et que les crimes en dehors des prisons ont continué.
Joaquín Meja, va encore plus loin. Il estime que faire l’apologie de la prison à vie est en réalité du “populisme pénal”, car on utilise la peur générée par la violence pour adopter des mesures qui ont des effets électoraux immédiats. Le gouvernement envoie à la population le message qu’il est intransigeant avec la délinquance, et donc qu’il faut le réélire. Cela n’aide pas. Pour lutter contre la violence, il faut en réalité d’autres types de mesures, comme l’amélioration des conditions de vie de la population, estime-t-il.
Le principe même du droit pénal remis en cause¶
Selon le député Tomás Zambrano, le nouveau code pénal devrait prévoir que la prison à vie soit réévaluée après les 30 premières années de détention du condamné. Mais cette explication ne calme pas les opposants. Le défenseur des droits humains Joaquín Meja assure que cela implique un recul en matière pénale, car les détenus perdront leur droit à être réhabilités. C’est pourquoi, si le code pénal prévoit la prison à perpétuité, il violera l’un des principes de base du droit pénal libéral.
La Constitution hondurienne établit en effet que “les prisons sont des établissements de sécurité et de défense sociale. Elles visent à la réhabilitation du détenu”. En tant qu’ancien juge, Ramón Barrios partage cet avis. Il estime que la condamnation à perpétuité est en total décalage avec l’objectif premier de la prison : envoyer quelqu’un qui a été condamné à n’importe quel délit en prison a perpétuité, c’est aller à l’encontre de la raison d’être de la prison qui est de transformer les individus pour les réintégrer dans la société.
Deux détenus pour une place¶
Le Honduras affiche une politique d’emprisonnement massif qui envoie en moyenne 20 personnes par jour derrière les barreaux. Résultat : les prisons explosent, et la population pénitentiaire avoisine les 16 000 détenus, soit deux fois plus que ne peuvent en accueillir les vingt-quatre prisons du pays, selon les chiffres de l’Institut national pénitentiaire.
Cette grave surpopulation carcérale a pour corollaire de multiples violations des droits humains au quotidien pour les détenus, contraints de purger leur peine dans des conditions fortement dégradées. Une situation qui génère aussi de nombreux actes de violence : au Honduras, depuis 2002, près de 600 détenus ont perdu la vie lors de mutineries, d’affrontements entre bandes rivales ou d’incendies.
Le plus marquant de ces évènements s’est produit le 14 février 2012 : 361 personnes ont péri dans l’incendie de l’établissement pénitentiaire de Comayagua, à une centaine de kilomètres de la capitale Tegucigalpa.
Un argument de plus pour les opposants à l’emprisonnement à perpétuité. Mildred López, juge de l’exécution au Honduras s’oppose à ce type de peines en raison des risques d’erreurs judiciaires et des mauvaises conditions d’emprisonnement. Si une personne est condamnée à vivre toute sa vie en prison, elle n’aura aucune motivation pour changer d’attitude, ce qui annule l’objectif constitutionnel de la peine. Ce que nous aurons au final, c’est un homme encore plus révolté contre la société, et une charge intenable pour l’État.
L’école du crime¶
La prison n’est pas un centre de réhabilitation où la personne se prépare à se réinsérer dans la société. C’est tout le contraire. Le détenu apprend de nouvelles manières de commettre des délits et, au lieu de se réadapter, il sort avec plus de haine. La prison au Honduras est une véritable école du crime, estime Ramón Barrios, magistrat à la retraite.
Nous voyons déjà les tragédies qui se déroulent dans les prisons avec cette surpopulation terrible, alors qu’en théorie, il n’existe pas encore la prison à perpétuité. Je n’ose pas penser à celles qui surviendront lorsqu’elle sera légalisée, s’inquiète Joaquín Meja.
Sans compter que d’autres mesures qui ont été adoptées auront un fort impact négatif, comme par exemple l’usage excessif de la détention préventive. On a supprimé les mesures alternatives à la prison qui existaient pour une vingtaine de délits. Comment peut-on, dans un contexte si difficile, prétendre faire appliquer la prison à vie ?.
États-Unis
LES ÉTATS-UNIS sont un des rares pays à appliquer la perpétuité effective. C’est-à-dire à enfermer hommes, femmes et adolescents jusqu’à ce que leur mort survienne. En 2012, ils étaient 49 081 à purger une peine à perpétuité effective, dont près de 2500 mineurs. Les États-Unis sont le seul pays au monde à imposer cette peine à des adolescents. Comment expliquer une telle brutalité institutionnelle ?
Jonathan Simon, professeur de droit à l’Université de Berkeley en Californie (UCB) et directeur du centre d’étude Droit & Société, répond aux questions de Prison Insider.
49 081 ###Condamnés à une peine à perpétuité effective aux États-Unis
C´est l'expression de la peur présente dans notre société, la même qui a contribué à faire naitre l’ère de l’incarcération massive
Prison Insider. Combien y-a-t-il de détenus à perpétuité sur le sol américain?¶
J.Simon. Avant de répondre à cette question il faut comprendre la notion “d’incarcération de masse” que je déclinerai en trois points.
En premier lieu, ces quarante dernières années, l’utilisation de l’emprisonnement a connu une énorme augmentation. Nous sommes passés de 100 prisonniers pour 100 000 citoyens américains en 1970 à 440 au début du XXIème siècle. Ces emprisonnements touchent des groupes déjà marginalisés dans la société américaine, en particulier les afro-américains qui ont toujours été plus massivement enfermés que les blancs et les latinos.
Selon les données de Bruce Western, sociologue à l’université de Harvard, un tiers des afro-américains nés après 1970 passent par la case prison. Une proportion qui vient à doubler lorsqu’ils ne sont pas parvenus au terme d’études secondaires. Plus de 90% des individus condamnés à une très longue peine appartiennent aux classes les plus pauvres.
À cela s’ajoute une dimension historique. Si, il y a encore un demi-siècle, une condamnation était basée sur un dossier personnel en lien avec le crime commis, dans l’ère de l’incarcération massive la durée de la peine ne dépend plus des circonstances individuelles. C’est ce qu’on appelle un emprisonnement catégorique.
Un emprisonnement catégorique qui s’est accompagné d’un allongement des peines. Par exemple, avant 1970, un homicide était passible de 10 ou 15 ans de prison. Aujourd’hui, c’est 30 ou 40 années de détention et parfois plus. L’allongement des peines joue un rôle crucial dans la question de la perpétuité.
Donc pour répondre à votre question, sur le sol américain selon l’ONG “The Sentencing Project” en 2012, 159 520 prisonniers purgeaient une peine à vie, dont 49 081 sans possibilité de libération conditionnelle. Une écrasante majorité de ces détenus sont des hommes, mais l’on compte aussi près de trois cent femmes.
Prison Insider. Il y a donc différentes types de condamnation à perpétuité ?¶
J.Simon. On peut distinguer trois types de perpétuité.
La perpétuité réelle , Life without parole où il n’y aucune moyen de sortir de prison, aucune possibilité de libération conditionnelle, sauf si un gouverneur accorde sa grâce.
Ensuite, il y a la perpétuité sans indication sur la possibilité de libération conditionnelle. Certains états ont tout simplement éliminé ce dispositif, à l’image de la Floride, qui pourrait un jour la réhabiliter, mais uniquement dans l’hypothèse où les législateurs adopteraient une nouvelle loi. Cela permettrait aux personnes condamnées à perpétuité de retrouver un espoir.
Et puis, il y a cette troisième catégorie de personnes condamnées à perpétuité avec possibilité de libération conditionnelle, Life with parole. Mais ces détenus ne sont presque jamais libérés en raison du pouvoir administratif. Un pouvoir piloté par des forces politiques qui construisent leur crédibilité en défendant les solutions les plus répressives possibles sur la criminalité.
Prison Insider. La Cour Européenne des Droits de l’Homme explique que, pour qu’une peine à perpétuité ne soit pas assimilée à de la torture, elle doit offrir une perspective de sortie, fût-elle lointaine et soumise à des conditions très strictes…¶
JS.En effet, le plus important dans une perspective carcérale non dégradante, c’est l’espoir. Si plusieurs personnes détenues dans une prison n’ont plus d’espoir, cela modifie la psychologie globale de l’établissement et c’est ainsi que naissent les gangs. Si un prisonnier n’a aucune opportunité de sortir un jour, il n’a aucune raison de bien se comporter. Si aucun avenir n’est envisageable, il va vouloir un maximum de pouvoir et de plaisir au sein même de la prison.
Au-delà de 10 à 15% de personnes condamnées à perpétuité dans le même établissement, c’est toute la dynamique qui change.
Les prisonniers qui n’ont rien à perdre ni rien à espérer sont très dangereux. Souvent les gardes le sentent… et ils les envoient plus souvent en cellule d’isolement. La perpétuité engendre une multitude d’effets sur les individus, mais elle a aussi un énorme impact moral et culturel sur les prisons américaines.
Prison Insider. Que deviennent ces prisonniers sur le plan psychologique ? Y-a-t-il une augmentation des décompensations ou des dépressions ?¶
JS.On estime que 40% de nos détenus souffrent d’une pathologie mentale grave et nous avons de bonnes raisons de croire qu’ils sont en réalité bien plus nombreux, parce que les prisons sont surpeuplées et qu’on n’y dispense pas les soins psychiatriques adéquats. Au final, il est fort probable que 20 à 30% des détenus souffrant de ce type de maladies ne soient pas diagnostiqués. Les prisonniers enfermés à vie, qui représentent 10% de la population carcérale aux Etats-Unis, concentrent à eux seuls 25% à 30% des maladies mentales diagnostiquées dans les établissements pénitentiaires. Cette population est donc particulièrement touchée. Un nombre écrasant de détenus développe une pathologie psychiatrique au cours de leur séjour en prison, en raison de la durée des peines. Cela résulte de plusieurs facteurs, une combinaison d’ennui, de peur et de stress. Un environnement menaçant dans lequel les incidents violents sont rares, mais où l’on sent en permanence une violence latente, au bord d’éclater.
En Californie, jusqu’à une période récente, les prisons affichaient des taux d’occupation de 200% à 300%. La surpopulation et la promiscuité contribuent à aggraver les maladies mentales et le risque de suicide.
Si l’on effectue une comparaison à l’échelle internationale, les détenus se suicident deux fois plus dans les prisons américaines que dans la plupart des autres pays.
Prison Insider. À quoi ressemble le quotidien des détenus condamnés à perpétuité?¶
JS.Aux États-Unis, les règles communes à l’ensemble des états, en termes de politique carcérale, sont celles résultant des décisions de la Cour suprême. Mais comme elles sont basées sur de grands principes généraux, elles n’ont au final qu’une influence limitée sur la totalité des juridictions à travers le pays. On note donc d’énormes différences d’un état à un autre, en ce qui concerne l’accès à la famille, les visites, la formation, ou encore le niveau de surpopulation. Une chose est sûre, les prisonniers qui sont incarcérés à vie ont très peu de chance de suivre des programmes de réinsertion.
Prison Insider. Combien coûte un détenu à vie ?¶
JS.Des projets de lois visent à remplacer la peine de mort par la perpétuité, au prétexte que cette dernière coûterait moins cher. C’est vrai, en grande partie à cause des coûts légaux qu’engendre l’exécution d’un être humain. Mais garder une personne à vie en prison génère aussi des coûts extrêmement importants, surtout en ce qui concerne la santé, a fortiori à une époque où la population carcérale vieillit et où la durée des peines s’allonge.
Beaucoup de gens pensent que les prisonniers travaillent toute la journée et font de l’exercice… En réalité, ils sont sédentaires, en surpoids, et sont touchés par des maladies comme le diabète, l’hépatite, le cancer, le sida et par des problèmes cardiovasculaires. Ces pathologies coûtent en moyenne 40 000 à 50 000 dollars par an et par prisonnier.
Quand ils atteignent l’âge de 50, 60 ou 70 ans- la plupart vont d’ailleurs vivre plus longtemps - les coûts atteignent 100 000 à 200 000 dollars. Prenons l’exemple de la Californie : en 2021, un tiers des prisonniers aura plus de 55 ans et les dépenses liées à leur santé oscilleront entre 2 et 3 milliards de dollars.
Prison Insider. certains partisans de l’abolition de la peine de mort proposent donc de substituer à celle-ci la perpétuité réelle comme châtiment suprême !¶
JS.Oui, c’est le comble de l’ironie ! La peine de mort et la perpétuité sont deux éléments essentiels qui différencient les politiques pénales des états. Traditionnellement, ceux qui n’appliquent pas la peine de mort ne mettent pas en oeuvre la perpétuité réelle, car ils n’ont pas de niveau extrême de sanction. Dans ces états-là, tous les auteurs de crimes sont susceptibles de bénéficier un jour d’une libération conditionnelle. Mais récemment, beaucoup de ces états ont adopté la perpétuité réelle, de peur de paraître laxistes en comparaison avec les autres.
Dans une autre perspective, de plus en plus d’états favorables à la peine de mort, à l’image du Texas, adoptent aussi la perpétuité réelle.
Au final, je pense que la mise en oeuvre de la perpétuité réelle est plus politique qu’économique. Même si, comme on l’a vu, elle a un fort impact financier. C’est sur ce plan-là qu’il y a de l’espoir, parce que nous sommes dans un moment de réformes aux Etats-Unis. La crise de 2008, entre autres facteurs, a beaucoup affaibli les états au niveau budgétaire et ce sont eux qui paient la majeure partie des dépenses liées à ces longues peines. Or, comme je l’ai expliqué, les détenus âgés coûtent très cher, et d’un point de vue criminologique, ils sont peu susceptibles de récidiver en commettant un crime violent. Ces personnes-là sont donc les plus intéressantes à libérer, si l’objectif est de réduire les coûts pour l’État sans trop de danger pour l’ordre public.
Prison Insider. Les peines de prison à vie infligées à des mineurs sont particulièrement choquantes. Sont-elles mises en question ?¶
JS.Depuis les affaires Graham v.Florida (2010) et Miller v.Alabama (2012), la Cour suprême a décidé que les jeunes n’ayant pas commis d’homicide ne devaient pas se voir infliger la perpétuité réelle. Et ce en raison de leur manque de maturité cognitive et émotionnelle. Cependant, si un jeune de 17 ans viole et tue quelqu’un de manière particulièrement haineuse, le juge aura toujours la liberté de le condamner à la perpétuité réelle. Aujourd’hui, environ 2 500 mineurs sont en prison, sans perspective de libération conditionnelle. Mais les dernières décisions de la Cour suprême devraient permettre de voir évoluer les peines de 2000 de ces individus mineurs.
Prison Insider. Quel sens la société américaine donne-t-elle à l’enfermement à perpétuité ?¶
JS.C’est l’expression de la peur présente dans notre société, la même qui a contribué à faire naître l’ère de l’incarcération massive. C’est un produit de la génération ayant fait l’expérience d’une forte augmentation du crime dans les années 1960-70.
Le sens de la prison à vie est d’assimiler les prisonniers à des zombies qui seraient insensibles à la violence de leurs actes et à la sévérité d’une peine, réfractaires à toute évolution. C’est une vision de l’être humain qui est incompatible avec sa dignité.
La bonne nouvelle, c’est que la génération des “Millenials”, ceux nés entre 1980 et 2000, voient les choses très différemment. Ils ont grandi dans un monde où la criminalité a baissé. De plus, ils doivent faire face à de graves menaces économiques et environnementales. Enfin, ils ne voient pas la prison comme un outil efficace. Mon fils, qui est plutôt pour Bernie Sanders, s’est rendu dernièrement à un meeting d’Hillary Clinton. Un de ses slogans est : “il faut en finir avec l’ère de l’incarcération massive”. C’était encore inimaginable quand son mari était au pouvoir. Tout cela est plutôt positif… Je pense qu’il est très important de se débarrasser de la peine de mort. Une fois qu’on en aura fini avec elle, on pourra aussi éliminer la perpétuité réelle.
Propos recueillis par Alice Gadamour¶
Jonathan Simon
Professeur de droit
Jonathan Simon est professeur de droit à L’Université de Berkeley en Californie (UCB) et directeur du centre d’étude Droit & Société. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages de références sur l’univers carcéral américain, notamment sur l’incarcération de masse.