EK. Est-ce qu’il y a un revers de la médaille ? Est-ce que l’amélioration des soins et des conditions de vie a un effet pervers ? Sûrement. On peut se demander si cela ne légitime pas la volonté de l’institution judiciaire d’incarcérer et parfois de laisser en détention des personnes dont on pourrait imaginer que leur place n’est pas en prison. Cela renvoie aussi à un débat philosophique compliqué, notamment sur le sens de la prison et sur qui devrait ou ne devrait pas y aller.
Dans ce débat, la position la plus extrême revient à dire : les malades psychiques sont des citoyens comme les autres et la prison est un service public qui s’adresse à tous les citoyens, sans exception. Les auteurs d’infractions qui souffrent de troubles psychiques ont donc leur place en détention. Il suffit simplement de mettre en place les moyens et dispositifs pour les prendre en charge, comme c’est le cas pour d’autres services publics. Il s’agit d’une position à mon sens intenable.
L’autre position, tout aussi extrême, serait de dire que les malades n’ont pas leur place en prison. On considère, depuis la Rome antique, que les fous doivent être reconnus irresponsables s’ils commettent une infraction. La place de ces personnes n’est donc pas en prison mais à l’hôpital. Par ailleurs, si une personne développe en détention des troubles psychiatriques, elle doit être envoyée à l’hôpital.
J’ai l’impression qu’on essaie en France, comme ailleurs, de trouver un équilibre entre ces deux positions. Évidemment, c’est parfois très compliqué. On ne peut pas nier que l’amélioration des soins et des conditions de vie en prison peut avoir tendance à créer un appel d’air.
Les déclarations d’irresponsabilité pénale deviennent, par exemple, exceptionnelles. Je n’ai, en revanche, pas l’impression de voir plus de malades psychiques qu’avant, et plutôt tendance à penser qu’on les prend mieux en charge, essentiellement grâce aux UHSA. C’est néanmoins difficile d’avoir une analyse fine de la situation car on manque de chiffres. Il faudrait pour cela qu’il y ait une nouvelle étude épidémiologique sur la santé mentale des personnes détenues à l’image de la dernière, réalisée en 2004. On ne dispose actuellement que de chiffres sur nos activités mais très peu de données épidémiologiques. À Marseille, en toute honnêteté, ce n’est pas notre tasse de thé. On a refusé pendant des années, par exemple, d’indiquer un diagnostic dans les dossiers médicaux. Il y a plusieurs raisons à cette opposition. D’abord, on voit cela comme un étiquetage du patient. Ensuite, même si les diagnostics doivent être rendus anonymes, on ne sait pas vraiment comment ils pourraient être utilisés ou manipulés par les tutelles.
Cette situation évolue : on est malheureusement de plus en plus contraint d’inscrire nos diagnostics. On évite toutefois de le faire de manière trop précise. Il est donc impossible d’avoir des données détaillées sur le nombre de personnes malades psychiques ou sur la représentation des différentes pathologies en détention.