L’Observatoire européen sur le sans-abrisme publie, au début de l’année 2024, un rapport sur les liens entre expériences d’incarcération et sans-abrisme en Europe. Il mentionne que, dans un grand nombre de pays européens, les systèmes sont cloisonnés et pas ou peu coordonnés, en raison notamment de l’absence d’une autorité unique ou d’un ensemble de ressources dédiées entièrement responsables du processus visant à garantir une solution de logement pour les personnes sortant de prison.
Nombre de personnes détenues indiquent que le manque de collaboration entre les acteurs du logement/hébergement complique l’accès, voire même la connaissance, des droits et dispositifs existants. Pour l’administration pénitentiaire, les autres organismes publics et les associations, les problèmes de collaboration compliquent le travail quotidien ainsi que l’identification et le suivi des personnes ayant besoin de services en détention. Quand il y a des relations entre les structures, elles sont souvent décrites comme informelles et interpersonnelles plutôt qu’institutionnelles.
En France, des difficultés de coordination sont notées, depuis longtemps, entre les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) et les services intégrés pour l’accueil et l’orientation (SIAO). Une circulaire de 2016 précise les modalités de coordination entre les services afin d’améliorer les échanges. Il est prévu qu’une personne référente soit désignée pour agir en tant que premier point de contact pour l’autre service. En pratique, certains SPIP ont effectivement passé des conventions avec les SIAO présents au sein de leur territoire, mais les accords manquent. La nature des conventions entre SPIP et SIAO tendent par ailleurs à varier d’une région à l’autre, sans cohérence au niveau national.
L’équipe de la mission Accompagnement, parcours, accès au logement de la Délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement (DIHAL) revient sur l’importance de la circulaire de 2016 et ce qui en découle : “L’enjeu est de faire en sorte qu’il y ait la meilleure articulation possible entre les SPIP et les SIAO. La circulaire préconise de signer des conventions pour essayer de définir ensemble, formaliser les partenariats dans l’objectif de donner de la pérennité aux choses. On sait que des partenariats peuvent se nouer à un temps T en fonction des personnes, l’idée est donc de pérenniser et de systématiser les relations entre SPIP et SIAO, en vue d’identifier et d’anticiper au mieux les besoins des personnes détenues”. L’équipe de la DIHAL rappelle que la délégation a un rôle d’animation des services de l’État dans les territoires.
À ce titre, elle organise notamment, en lien avec la Direction de l’administration pénitentiaire, des réunions avec l’ensemble des acteurs et ressources qui prennent part au travail d’orientation. L’idée est, entre autres, de donner une impulsion, lancer les discussions et faire en sorte que les modalités de partenariat soient plus approfondies et adaptées aux ressources et maillage du territoire.
“Au cours de ces réunions, il est également fait mention d’un certain nombre de bonnes pratiques : des SPIP qui participent aux commissions d’orientation au sein des SIAO, la mise en place de référents du public justice au sein des SIAO qui vont aller en détention pour donner des éléments d’information, parfois offrir de la formation et du conseil, etc.”, précise l’équipe. Elle mentionne également des cas poussés de coordination, mis en place dans certains territoires, notamment dans des contextes d’offre de solution faible pour les personnes.
À Paris, le SPIP met ainsi en place, jusqu’en 2022, une commission de priorisation des dossiers au sein du service, hors présence SIAO. François-Marie Tarasconi formalise, en 2018, le fonctionnement cette commission, instiguée en 2016. Il revient sur son fonctionnement : “chaque semaine, une dizaine de CPIP présentaient leurs dossiers inscrits à un groupe dédié de CPIP s’intéressant à la question hébergement/logement ainsi que l’assistant social du SPIP et un directeur. Le directeur était présent pour garantir une prise de décision neutre dans la mesure où il ne suivait pas de dossier individuel. Des conseils d’orientation étaient donnés en cours de commission puis des priorisations, en fonction des critères propres au SPIP étaient faites à destination du SIAO. On avait, chaque semaine, une ou deux orientations réussies, ce qui est énorme. Avant cela, certains collègues mentionnaient mettre près d’un an à faire une orientation réussie”.
Pour François-Marie Tarasconi, ce système présente ainsi des avantages évidents : il permet de briser l’isolement des CPIP sur ces questions qu’ils connaissent souvent mal, les critères utilisés par le SPIP donnent au SIAO la possibilité de se saisir de critères de priorisation supplémentaires dans le cas de situations quasi-équivalents selon leurs propres critères et il est possible de mettre en place un suivi statistique soulignant l’efficacité ainsi que les limites de la méthode.
Le système mis en place au sein du SPIP de Paris n’a néanmoins pas duré et s’est arrêté en 2022. François-Marie Tarasconi précise néanmoins que ce système s’est exporté dans d’autres départements, au sein desquels il a été adapté en fonction des besoins : taille du SPIP, pourcentage de personnes sans-abri, coopération avec le SIAO.
En Ontario (Canada), Reza Ahmadi souligne que les efforts de coopération et de collaboration varient grandement d’un endroit et d’une collectivité à l’autre. “Certaines mettent en place des tables de planification réunissant les autorités fédérales, provinciales et municipales, ainsi que tous les prestataires de services sociaux”, explique-t-il. “L’objectif est d’examiner la situation, au cas par cas, de chaque personne libérée. L’administration pénitentiaire dit : ‘telle personne va être libérée dans une semaine, elle a besoin d’une aide au logement ou de tel autre type d’aide’ et les personnes autour de la table peuvent venir répondre aux besoins.” Reza Ahmadi précise que si les choses tendent à s’améliorer, il reste encore beaucoup de chemin à parcourir : “dans certaines communautés, ces tables existent depuis des années, dans d’autres, il y de petits groupes de travail, mais dans certaines, rien n’est encore en place.”
En Finlande, l’administration pénitentiaire indique que la coopération multidisciplinaire joue un rôle clé. Elle souligne notamment coopérer avec les départements d’aide sociale (en charge des services sociaux et des soins de santé), les municipalités et les organisations de la société civile. Les services pénitentiaires et de probation coopèrent notamment avec RETS Life without crime et participent au réseau d’aide au logement pour les personnes libérées (VAT).
Pour faciliter la coopération entre les municipalités, l’administration pénitentiaire et les prestataires de services, le VAT rassemble des informations en matière de bonnes pratiques et de modèles de coopération efficaces. Il organise des formations et des séminaires environ quatre fois par an sur des thèmes liés à l’aide au logement pour les personnes ayant un casier judiciaire, à la réduction du sans-abrisme ou encore à la réinsertion.
Ces temps servent, selon le réseau, de forum commun pour les différentes parties prenantes travaillant auprès des personnes judiciarisées. Ils permettent l’échange d’information, de pratiques de travail ainsi que le développement de coopérations entre les différentes institutions et organisations présentes.
Différents modèles de coopération dans le domaine du logement pour les personnes libérées de prison ont vu le jour en Finlande. Parmi eux, le Groupe de coopération à la clientèle de Joensuu qui promeut la coordination afin de permettre l’accès à un logement pérenne et à des services de soutien. Ce groupe, coordonnée par un membre de l’administration pénitentiaire, inclut des représentants des services sociaux, de toxicomanie et de santé mentale, des propriétaires à but non lucratif, des organisations fournissant des logements subventionnés, etc.
Lorsqu’un personnel pénitentiaire, de probation ou un travailleur social identifie une personne détenue sans domicile, il lui propose de rejoindre un groupe de travail. Il revient à cette dernière d’indiquer ses besoins dans un formulaire et les organisations fournissant les services en question. Les parties concernées sont invitées lors d’une réunion qui permet d’évoquer la situation de la personne : son lieu de résidence précédent ; ses éventuelles dettes ou problèmes de toxicomanie, ses autres besoins en matière de soutien, etc. Les préférences en matière de logement sont également abordées. Le groupe procède ensuite à une évaluation conjointe des besoins en matière de logement et de soutien. Il est, par exemple, précisé que l’accès au logement peut être lié à la réception d’autres aides, l’objectif étant de savoir qui fera quoi et quand.